La maison De Gallis

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Jeanne  Marcelin, née  Plaisance, a raconté dans les dernières années du XXe siècle, l'histoire d'une plaque de cheminée (ou plutôt 2 : la seconde se trouve en Mairie) ; étonnante plongée dans le passé de Chamoux.

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AUTOUR   D'UNE   PLAQUE DE   CHEMINEE : CHAMOUX - 1771

" 1771, pourquoi ?
L'une des 2 plaques de cheminée de la maison de Gallis. Doc CCATout simplement parce qu'il s'agit de la date figurant sur deux plaques de cheminée identiques, découvertes dans ma maison natale, située sur la place de l'église à Chamoux. Sur la plaque figure le nom de "Noble Marguerite de Galis», ainsi que les armoiries concédées à la famille : "d'or au chevron de sinople, accompagné de trois fleurs de lys de sable", selon Foras. Cet auteur ajoute que le cimier figure une branche de chêne avec des galles et des feuilles et mentionne la devise familiale  : "Ex labore gloria".*

À partir de cette découverte, qui excita ma curiosité, j'ai recueilli, dans divers documents, quelques renseignements sur cette noble dame et son entourage.

À propos de la date qui figure sur les plaques, remarquons, pour mémoire, qu'il s'agit d'un tournant dans l'histoire de la Savoie. En effet, c'est le 19 décembre 1771 que Charles Emmanuel III signa l'édit d'affranchissement général des fiefs. Cet édit est à l'origine de la modification des rapports sociaux qui étaient liés à la féodalité.

Marguerite de Galis.

Selon l'un de ses descendants, Raingo-Pelouse, Marguerite, née en 1724, est l'unique enfant de Louis-Hercule de Galis, dit parfois de Galis de Grangeron, né en 1692, lui-même fils de Claude de Galis, qui habitait la tour de Villard-Dizier. En 1724, Louis-Hercule épousa Hélène Roger, fille de feu Jacques, bourgeois de la ville de Lyon. Ce dernier donna à sa fille une dot confortable (5.770 livres).

Louis-Hercule avait droit au titre de spectable. En effet, il était avocat et exerça ses fonctions au Sénat de Chambéry, devant lequel il prêta serment en 1743. Il habitait alors à Chambéry et transporta plus tard ses pénates à Chamoux, dans la maison de la place de l'église. Il mourut en 1746 tandis que sa femme lui survécut jusqu'en 1767, après s'être remariée en 1751 avec Benoît du Serre.

Le 16 août 1750, Marguerite épouse, à Saint-Jean de Maurienne, Louis-Joseph Falquet, né en 1732 dans la province de Turin, fils de feu Pierre.
Marguerite meurt le 11 ventôse an X (c'est-à-dire en 1802) ; son mari lui survit pendant onze ans, puisqu'il décède le 2 février 1813.

De ses parents, Marguerite a hérité la propriété de la place de l'église qui, sur la mappe de Chamoux (1728), est répertoriée sous les numéros 1398 et 1400. Il est spécifié que, de Galis étant noble, il est exempt de taille et que la maison et ses dépendances sont en bon état. La parcelle 1400, située au fond de la cour, est constituée d'une grange enclavée entre deux autres granges (numéro 1399 et 1401) appartenant aux frères Glapigny qui paient la taille à Chambéry.

La mappe représente la maison sous forme d'une construction allongée le long de la rue bordant le mur du château. Il est probable qu'il s'agissait d'un bâtiment bas, analogue aux communs du château, construits de l'autre côté de la rue.
La façade ouest de la maison de Gallis, avec ses colonnes. Photo A.D. / CCA.On peut penser qu'à la mort de sa mère, c'est-à-dire après 1767, Marguerite a fait réaliser une importante rénovation : édification d'un étage supplémentaire sur la partie réservée à l'habitation, balcon sur colonnade.
Marguerite n'oublia pas les attributs propres aux demeures des nobles : nombreuses fenêtres, pigeonnier attenant et pommeaux sur le toit. Les aménagements intérieurs furent sans doute soignés ; les plaques de cheminée, ainsi que l'élégant bas-relief au-dessus de l'une d'elles, en témoignent.


Quelques renseignements sur la paroisse en 1771.

En 1771, le château appartenait à Joseph d'Albert, d'Orelle, gentilhomme de Maurienne, petit-fils d'Arétan, baron de Montfort (1745 : testament d'Arétan en faveur de son petit-fils). Les trois fils de Joseph et de Cécile, fille de l'avocat Didier de Saint-Michel, moururent avant leur père.
Simon, l'aîné, porta le titre de baron de Chamoux (la seigneurie de Chamoux fut érigée en baronnie par patente du 2 septembre 1791). Ses frères furent, l'un baron de Montgilbert, l'autre baron de Montendry (selon Gros).

En 1771, le notaire de Chamoux était Maître Mollot. Tous les actes qu'il dressa en 1771 pour ses clients de Montgilbert, de Champlaurent, de Montendry, de Bourgneuf et de Chamoux prennent une place importante dans les deux volumes du tabellion d'Aiguebelle de l'année.
Quittances, acquis, soumissions, exhanges, acensements, partages, ventes d'hoiries, obligations, élections d'amy, les actes et contrats sont variés...

Pendant l'année qui nous intéresse, Marguerite et son mari n'ont pas eu recours aux services de Maître Mollot. Il n'en va pas de même pour Joseph d'Albert, qui passa une "extinction d'abergement" en faveur de deux habitants de Montgilbert.

L'exaction de la taille et des autres revenus de la communauté de Chamoux est confiée à François Brun, dont le "gage et salaire" est fixé à 4% des exactions. D'après la soumission dressée par Maître Mollot, l’exacteur doit, bien évidemment, noter tous les paiements qui lui sont faits, "particulièrement si ce sont "des espèces neuves de France".
Avant la soumission, Maître Mollot a procédé à la clôture des comptes d'exaction de l'année 1770.

Étant donnée la multiplicité des monnaies en cours, faire des comptes exacts n'était pas toujours une mince affaire, si l'on en croit une quittance passée devant Maître Mollot pour Antoine Christin par Pierre Jacquier.
Il s'agit d'une somme de 572 livres 10 sols 9 deniers, "nombrée" par Christin en 2 portugaises de 35 livres 12 sols 6 deniers chacune, 9 pistoles 1/4 au dernier coin du roy, 3 louis neufs de France valeur du tarif, 1 sequin d'Allemagne de 9 livres 7 sols 8 deniers, 1 piastre d'Espagne de 4 livres 10 sols 2 deniers, 13 demi-écus au dernier coin du roy, le surplus en pièces de 7 sols 6 deniers, pièces de 10 liards, sols et pièces de 2 deniers. Ouf ! Le compte y est !
Par delà sa valeur anecdotique, cette énumération témoigne de la variété des relations commerciales entre les Savoyards et leurs voisins.

La lecture des contrats dotaux apporte de précieuses indications sur le niveau de vie, bien modeste, de la plupart des familles. Le montant de la dot atteint rarement le dixième de celle de la mère de Marguerite de Galis : généralement 300 livres et, pour "l’augment" versé par le fiancé, 150 livres (selon la coutume, l'augment représente la moitié de la dot). Par ailleurs, le trousseau de la fiancée, dans son "coffre de noyer fermant à clef ", est fort réduit et sa croix d'argent ou d'or évaluée à quelques livres.

En 1771, les Plaisance, mes ancêtres paternels, habitent Montendry, paroisse très peuplée au XVIIIe siècle, qui deviendra, par la suite, un réservoir de population pour Chamoux. Pendant l'année qui nous intéresse, Claude Plaisance, de Montendry, fait appel à Maître Mollot pour un contrat d'affranchissement de censés en faveur de Michel Masset, de Montendry : Claude verse à Michel une somme de 50 livres pour affranchissement d'un bénéfice et droit de "moudures".
Dès cette époque, les relations entre Chamoux et Montendry sont étroites et plusieurs habitants de Montendry possèdent des propriétés à Chamoux. Ainsi, la mappe de 1728 révèle que les frères Plaisance possèdent une grange dans le haut de Chamoux. Par contre, certains de mes ancêtres maternels, les Maillet, habitaient déjà Chamoux avant 1771. Le tabellion de 1771 fait état d'une quittance pour Joseph Maillet, de Chamoux, passée par Jeanne Maillet, sa sœur, de Coise, concernant une somme léguée par testament de leur père.

En 1771, le curé de Chamoux, depuis 1740 et jusqu'en 1786, a nom Jean-Baptiste Durieux, ancien curé de Montendry, natif de Lanslebourg, plus tard doyen de la collégiale de Chamoux.
En 1790, par son testament, Jean-Baptiste lègue 4.000 livres à la paroisse pour la création d'une école. On peut donc penser qu'auparavant il n'y avait pas d'école à Chamoux, à moins que celle-ci ait périclité et disparu. Cela était fréquent, étant donnée la précarité du statut des établissements d'enseignement dans les villages. Dans ces conditions, il n'est pas étonnant que beaucoup d'habitants de Chamoux signent d'une croix, à l'époque qui nous intéresse.
Selon Gros, qui nous donne les renseignements précédents sur le curé de Chamoux, la collégiale de Sainte Anne, érigée en 1515, s'était "rétrécie" au fil des ans et, en 1741, déjà, il ne restait au prieuré qu'un doyen accompagné d'un seul chanoine. Ce sont eux qui disent la messe dans la chapelle du château.

Nous n'avons pas de certitude sur le nombre des habitants en 1771, mais il est probable que celui-ci ait varié dans une faible proportion au cours du siècle précédent. Selon [Félix] Bernard, lors de la visite de l'évêque**, en juin 1689, on comptait environ 600 âmes dans la paroisse de Chamoux. Les registres paroissiaux font état, en 1771, de 24 baptêmes, 3 mariages et 7 enterrements. En 1728, date de la mappe de Chamoux, on dénombre 12 baptêmes dont un de Galis, 6 mariages dont un Nerroux-Maillet et 17 enterrements dont un Maillet.

Rappelons, à propos des personnes citées, que les noms propres sont orthographiés différemment dans les documents conservés. Par exemple, pour le patronyme Neyroud, quatre modalités sont couramment utilisées. C'est ainsi qu'au nom de Galis, le l est parfois doublé.
Pierre de Mellarède, éphémère propriétaire du château en 1715, commanda une plaque aux armes de sa lignée. Elle a été scellée par l'actuel propriétaire du château au-dessus de la porte d'entrée. Girod a décrit en détail cet exemplaire armorié.

Nombre de familles "roturières" de Chamoux possédaient leurs plaques datées et identifiées au nom du chef de famille. Certaines d'entre elles sont conservées par les descendants ou les successeurs. La plupart d'entre elles datent du XIXe siècle.

Une des conséquences de la découverte et de l'interprétation de la plaque de Marguerite a été de raviver le souvenir de cette noble dame dont la maison porte actuellement le nom de Galis, tout comme au XIXe siècle, à la suite d'une interruption de plusieurs décennies."

Paris, mars 1988


Note
* Le blason est sommé d'une couronne comtale à 9 perles
** À propos de cette visite, une plainte du curé de Chamoux de l'époque, Jacques de Glapigny, est rapportée par l'évêque après une de ses visites pastorales. Le curé a signalé à l'évêque que "les hôtes tiennent leurs cabarets ouverts et vendent du vin publiquement pendant les offices divins".


RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

(ouvrages consultés aux Archives départementales de la Savoie, à Chambéry)

BERNARD, F., Paroisses du décanat de La Rochette, Mémoires de l'Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Savoie, 6e série, t. III, 1958, p. 21-261.
CADASTRE GÉNÉRAL DE CHAMOUX, Mappe et C 2491, 1728.
FORAS, E. A. de, MARESCHAL, F. de, VIRY, P. de et YVOIRE F., d', Armorial et nobiliaire de l'ancien duché de Savoie, 1863-1950, t. III.
GIROD M., Communication sur quatre plaques de cheminée armoriées, Mémoires de la Société savoisienne d'histoire, t. XXVIII, 1889, p. XIII-XVI.
GROS, A., L'excursion de Chamoux en 1907, Trav. de la Société d'histoire et d'archéologie de Maurienne, 2e série, t. IV, 2e partie, 1907, p. 54-65.
RAINGO-PELOUSE, P., Généalogie de Gallis, manuscrit non daté, J 372.
REGISTRES PAROISSIAUX DE CHAMOUX, 1728 et 1771.
TABELLION D'AIGUEBELLE, 1771, T. 1 et 2.

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