Chamoux avait la malchance d'être coincé entre la montagne abrupte qui ne fournit guère de terres cultivables et les marais trop humides pour être d'un bon rapport.
Des améliorations avaient déjà été apportées au 19e siècle avec le diguement de l'Isère, la rectification du confluent de l'Arc et de l'Isère, le creusement du canal tout droit, le Gelon actuel et du tunnel qui le conduit en aval dans l'Isère.
Un syndicat du Gelon avait été créé pour creuser et entretenir les grands fossés qui assainissent les terres humides, aux frais des contribuables de ces terres; mais les bonnes terres étaient détenues par quelques gros propriétaires qui les faisaient cultiver par des fermiers.
Autrefois...Chamoux : Léonie Francaz
Les grands domaines se disloquaient à la fin du 19ème siècle au profit du petit peuple qui les rachetait journal par journal (un journal = 28 ares 48 centiares, soit 2848 m2) si bien qu'au début du 20ème siècle, la majorité des gens du pays possédait un lopin de terre, mais trop restreint pour faire vivre les nombreuses familles chargées d'enfants.
Sous le village, les parcelles en
lanières, du mont vers le Gelon
À Chamoux et aux Berres, les gens profitaient des communaux divisés en parcelles. Chaque famille avait droit à une parcelle moyennant une faible redevance. Mais Villard Dizier, qui avait été détaché de Villard Léger à un siècle précédent, ne disposait pas de terres cultivables communales. Par contre, le hameau possédait des forêts dont le bois de taillis était distribué à l'automne "en affouage" à chaque famille du village.
Heureusement, subsistait un ancien droit de pâture sur les marais qui avaient appartenu au château de Villard Dizier et qui avaient été vendus à des particuliers, surtout de Hauteville. Ce droit de pacage profitait à toutes les familles de Villard Dizier : à chaque printemps jusqu'au 1er mai et, à partir du 15 août, sans limite en arrière-saison.
Autrefois...Chamoux : Léonie Francaz
Heureusement, on a du cœur à l'ouvrage car, peu à peu, les châtelains, le comte et la comtesse de Sonnaz, ont vendu leurs terres pour éponger leurs dettes. Les fermiers ont acheté des lopins de 30 ares chacun. Lopin après lopin, ils ont arrondi leur domaine et travaillent pour eux-mêmes, fiers d'être propriétaires.
Autrefois...Chamoux : Pierre Fantin
François-Emmanuel Fodéré (1764-1835) a décrit le "crétinisme goitreux" qu'il observe dans "les hautes vallées des Alpes". Il s'agit d'une insuffisance thyroidienne de caractère endémique, influencée par des facteurs génétiques et nutritionnels (carence en iode) ainsi que par une faible exposition aux rayons solaires.
On a dénombré également quelques cas de cette maladie dans les Pyrénées et dans la Combe de Savoie (du côté de l'ubac) : la Croix d'Aiguebelle, les Berres, le haut de Chamoux sont touchés.
"Aiguebelle, juin 1911. Les sommets sont blancs de neiges éternelles. J'ai une impression de sauvagerie. L'affreux c'est que ce pays ressemble à un hôpital tant il y a de difformes."
En 1852, dans ses Tableaux statistiques du Goître et du Crétinisme en Savoie, et sur le versant occidental des Alpes1, B. Nièpce, Médecin-inspecteur des Eaux minérales sulfureuses d'Allevard, dresse un portrait de la maladie. Voici ses relevés pour le canton :
CANTON DE CHAMOUX | ||||||||
Communes | Population | Garçons atteints de | Filles atteintes de | Total | ||||
crétinisme | goître | goître + crétinisme | crétinisme | goître | goître + crétinisme | |||
Chamoux | 1409 | 3 | 15 | 2 | / | 10 | 1 | 51 |
Bourget/Huile | 512 | 4 | 50 | 7 | 3 | 48 | 2 | 94 |
Chateau-Neuf | 976 | 1 | 39 | 1 | 4 | 47 | 2 | 94 |
Coise, St-Jean Pied-Gauthier |
1702 | 5 | 121 | 5 | 5 | 80 | 7 | 219 |
Hauteville | 456 | / | / | 3 | / | / | 10 | 15 |
Le Pontet | 593 | 5 | 55 | 6 | / | 59 | 2 | 103 |
Montendry | 518 | / | 1 | / | / | 6 | / | 7 |
Villar-Léger | 797 | / | 5 | 3 | / | 5 | 3 | 16 |
TOTAUX | 6965 | 14 | 244 | 27 | 10 | 255 | 27 | 577 |
"En cette première moitié du XXe siècle, la maladie est en voie d'extinction. Ajoutons que le "crétinisme" est lié au goitre dans le cas où celui-ci apparaît dans l'enfance. J'ai, dans ma jeunesse, conversé avec une dame des Berres : touchée tardivement par la maladie, elle ne manifestait aucune déficience intellectuelle. Elle était éveillée, gaie et jolie, malgré son cou déformé.
Oubliée cette maladie complètement disparue en cette fin de [XXe] siècle. Bon débarras !"
Autrefois...Chamoux : Jeanne Plaisance
Mais après 1945, Chamoux accueillait des enfants – et des adultes - venus se refaire une santé : à Paris, une association « Les petits Savoyards de la Montagne », près de la Gare de Lyon, les orientait vers des famille d’accueil de Savoie.
Collectif C.C.A. : G.D., H.B., M.M., M.D., F.F., E.A.
I fâ savaï plema la dzerna sèn la fâre creya.
Il faut savoir plumer la poule sans la faire crier.
Proverbes et dictons de Savoie Paul Guichonnet (ed. Rivages)
Na pwegna d’fremiè bin d’akor beton met pe grou âbr à mor.
Une poignée de fourmis bien d’accord met le plus gros arbre à mort.
Proverbes et dictons de Savoie Paul Guichonnet (ed. Rivages)
A.Dh.
Sourses bibliographiques
1- Gallica.fr : Traité du Goître et du Crétinisme suivi de la statistique des goîtreux et des crétins dans le bassin de l'Isère en Savoie, dans les départements de l'Isère, des Hautes-Alpes et des Basses-Alpes par B. NIÈPCE, TOME II. J.-B. Baillère, Libraire à Paris, 1852.
Presque chaque famille avait son cochon.
On lui donnait les épluchures, les pommes de terre (les billes) cuites au chaudron (on appelait la nourriture préparée pour le cochon la « peria » : pommes de terre, pain rassis, betteraves, épluchures…)
Un souvenir cocasse : le pépé portait à manger aux cochons, et le mâle (le verrat) a foncé : le pépé a écarté les jambes, mais son tablier a coiffé le verrat, et le pépé est parti à cheval…
Le Collectif C.C.A. : G.D., H.B., M.M., M.D., F.F., E.A.
A la foire d'automne, on vendait des cochons engraissés et on achetait les petits porcs pour l'année suivante.
Autrefois...Chamoux : Jean Berthollet
Bien que le sacrifice de ce sympathique animal constitue une étape pénible de la vie rurale, la fête du cochon est attendue avec impatience. Longtemps à l'avance, on pense avec délices au boudin, aux diots et au petit salé.
Autrefois...Chamoux : Pierre Fantin
Une recette : les diots aux choux
Dans chaque famille, on tuait le cochon entre novembre et février .
On profitait de cette occasion pour faire les "diots" aux choux, selon la technique suivante:
Blanchir les choux pendant dix minutes environ puis égoutter.
Pour dix kg de choux égouttés, ajouter trois kg de gorge de porc et deux kg de lard gras.
Hacher ces ingrédients.
Assaisonner avec sel, poivre, muscade, (ail facultatif).
Mettre en boyaux, puis faire sécher.
Pour cela, susprendre les diots sur des barres de bois, au-dessus du poêle à bois, pendant deux ou trois jours.
Ensuite, pour les conserver, mettre les diots dans des "topines" avec de l'huile ou du saindoux et placer le tout dans une cave fraîche.
Les diots se conservent ainsi pendant environ six mois.
On les consomme accompagnés de pommes de terre, le tout cuit à l'eau pendant vingt minutes, à partir de l'ébullition. Bon appétit!
Autrefois. ..Chamoux : Recette de Daniel et Nadine Favre
Bergers : des occupations pour les enfants
Les travaux agricoles demandaient encore beaucoup de main d'œuvre et les enfants y participaient en dehors des heures de classe, le jeudi et pendant les vacances.
Avant que les treilles ou les champs soient labourés, avec une pioche, nous arrachions les "piapôrs" (renoncules boutons d'or) qui, une fois lavés, compléteraient la nourriture des vaches; ou bien, nous "broutions" à la main les herbes bonnes pour les lapins, celles pour les poules. Le long des chemins, dans les "rigoles", nous faisions la chasse aux pissenlits.
Une des principales occupations des enfants consistait à mener paître le bétail. Les vaches, tenues en laisse par les petits bergers broutaient les talus le long des chemins, le bord des fossés, les extrémités des champs.
Pas la moindre touffe d'herbe n'était perdue et pas la moindre invasion de mauvaises herbes!
Le garde-champêtre faisait des tournées pour voir s'il n'y avait pas d'abus : il ne fallait pas faire paître le bord du champ ou la barotière* qui ne nous appartenaient pas. Nous apprenions ainsi à distinguer nos droits et nos devoirs. Gare à ceux qui les auraient confondus! Il y avait risque de procès-verbal.
Cependant, le plus intéressant pour les enfants était le droit de pâture qui continuait à exister dans les marais de Villard Dizier au printemps et à l'automne. Les premiers jours, les vaches s'affrontaient, au grand désespoir des petits bergers qui craignaient que leurs bêtes se cassent une corne et ne puissent plus être attelées. Mais bientôt la bonne entente s'établissait entre toutes les vaches du village.
C'étaient alors de bons moments pour les enfants qui n'avaient qu'à garder l'entrée des marais entourés de grands fossés que les vaches ne pouvaient franchir. Que de jeux pendant ces longues heures !
Du rififi chez les Petits Bergers
Les garçons en profitaient parfois pour lancer des injures et des défis aux petits bergers de Bettonnet qui étaient dans leurs marais, de l'autre côté du grand fossé. Chacun de ces groupes, se croyant bien protégé derrière cette frontière qui semblait inviolable, en profitait pour être de plus en plus agressif en paroles. C'était au groupe qui crierait le plus fort. Chacun menaçait de franchir le fossé pour donner une correction à l'ennemi.
En général, la guerre n'était que verbale; mais un jour un garçon de Villard Dizier, François Péguet, s'étant fait traiter de "capon", injure suprême, alla chercher une branche de saule, la piqua dans la vase du fossé et, rouge de colère, fonça chez les ennemis qui, surpris de cette hardiesse, le félicitèrent et la paix fut faite.
Pour les enfants, l'époque du pâturage dans les marais était vraiment l'heureux temps.
Nous n'avions pas de montres, mais, à l'emplacement des ombres sur telle maison de Bettonnet, nous savions qu'il était temps de rappeler le troupeau.
Le retour à la ferme
À la sortie des marais, chacun reprenait ses bêtes qu'il fallait conduire sur la route entre deux rangées de cultures et quelques champs de tabac. Attention à ne pas leur laisser prendre une bouchée de luzerne, ce qui nous attirerait les foudres du propriétaire, ni un épi de maïs qui pourrait étrangler la bête et encore moins une feuille de tabac qui l'empoisonnerait. Enfin voilà le village et le bassin où les vaches boivent en passant et leur étable où chacune retrouve sa place près de la crèche. À la petite bergère de lui passer autour du cou le "lian", chaîne de fer à maillons aplatis, en se méfiant des cornes qui pourraient crever un œil.
Comme on avait mangé un quignon de pain au pré, en arrivant à la maison, il restait à aller remplir les seaux d'eau à la pompe du village, à casser le petit bois pour allumer le feu et à scier les morceaux trop gros pour être cassés contre le genou.
On portait aussi le lait à la fruitière quand le seau n'était pas trop plein.
Voir si toutes les poules étaient rentrées et fermer le poulailler était aussi un petit travail réservé aux enfants.
La nuit tombée, en attendant l'heure de la soupe, c'était, en période scolaire, le moment de faire ses devoirs de classe sur la table de la cuisine.
Autrefois...Chamoux : Léonie Francaz
Aujourd'hui, il n'y a plus que deux exploitants à temps plein: un au chef-lieu (élevage de moutons) et un aux Berres (élevage de bovins).
L'époque du concours agricole annuel est bien révolue. Le dernier a eu lieu en 1935.
Jean Berthollet se souvient du beau pressoir exposé à cette occasion par le tonnelier des Berres, Hippolyte Mouche.
Disparues également les deux foires aux bestiaux qui avaient lieu le 18 avril et le 18 novembre.
A la foire de printemps, on achetait, entre autres, les bovins à convoyer jusqu'aux alpages de montagne.
Autrefois...Chamoux : Jean Berthollet
I-é pa le matin de la fèra k’on angrés son pwer.
Ce n’est pas le matin de la foire qu’on engraisse son cochon.
Proverbes et dictons de Savoie Paul Guichonnet (ed. Rivages)
N’i è pâ la-vaçhe ke brâme tant çla k’a mé d’lafé.
Ce n’est pas la vache qui brâme le plus fort qui a le plus de lait.
Proverbes et dictons de Savoie Paul Guichonnet (ed. Rivages)
La traite
On faisait la traite deux fois par jour, et le lait était collecté à mesure : le laitier passait matin et soir jusqu’au 3e Berre ; à la Bettaz, il fallait porter le lait (avec la brinde sur le vélo) ; Montendry descendait le lait sur le cable (qui existe toujours).
Tout ce lait était porté à la fruitière.
Le Collectif C.C.A. : G.D., H.B., M.M., M.D., F.F., E.A.
Le lait était transformé en beurre et fromage par la ménagère. Elle laissait monter la crème à la surface du lait au repos. Quand elle était à maturité, la crème était barattée à la main dans la « borrière ».
Le petit lait ensemencé avec une louche de « caillé » précédent donnait des fromages frais mis à sécher sur une claie accrochée au plafond. Ils terminaient leur maturité dans un panier protégé en plein vent, et entraient dans l'alimentation quotidienne des membres de la famille. Le supplément de produits laitiers était vendu au marché.
D’après : Petite Histoire du Val Gelon et de la Rochette – Juliette et Adrien Dieufils – ed. La Fontaine de Siloé
La fruitière
C'est François Berthollet qui a vendu le terrain à Neyroud, de Bourgneuf, pour bâtir la fruitière. Par la suite, Neyroud a cédé l'entreprise à une coopérative formée par un groupe de producteurs de lait.
La tournée était faite matin et soir avec une voiture à cheval puis avec une camionnette. Le fruitier achetait le lait et le vendait ; il vendait également les produits de sa fruitière : beurre, tomme et gruyère. L'usage du double carnet était de rigueur : un pour le producteur de lait et un pour le fruitier. Ainsi, il n'y avait pas de contestation lorsqu'on réglait les comptes mensuels. En fin d'année, le fruitier remettait une partie de ses gains aux coopérateurs, qui étaient chargés de l'entretien de la fruitière.
Chaque année, en janvier, les coopérateurs choisissaient pour un an, parmi les candidats qui se présentaient, un gérant, bien entendu reconductible. L'un d'eux est resté en fonction de 1932 à 1946.
Il y avait alors environ 200 vaches au chef-lieu ; il n'y en a plus une seule aujourd'hui [au chef-lieu ndlr].
Autrefois...Chamoux : Jean Berthollet
A.Dh.
* Barautière, n. f. (aussi Barotière) : Chemin ou passage à travers champs, tracé par une baraute (brouette en Savoie et en Suisse Romande) par un usage fréquent ( http://wronecki.pagesperso-orange.fr/frederic/voies/B.htm)
La fenaison se faisait à bras, naturellement, et, si possible, sous un chaud soleil
La veille au soir, on consultait le ciel pour savoir si le temps serait au beau quelques jours. Alors, il était décidé qu'on couperait du foin. Le père martelait soigneusement la faux et affilait le tranchant à la meule.
Le lendemain, le coffin à la ceinture, la faux sur l'épaule, il part dès la pointe du jour parce que l'herbe encore humide de rosée se coupe plus facilement.
La femme et un enfant (si c'est jeudi, jour de congé) arrivent dans la matinée pour étendre les andains à la fourche.
Ce foin, après avoir été retourné l'après-midi, est ramassé, toujours à la fourche, mis en "cuchons" pour éviter l'humidité de la nuit et étendu de nouveau le lendemain si le temps reste beau. Une fois sec, on pourra le charger le soir.
L'homme, par grosses fourchées, le monte sur le chariot où la femme l'égalise.
Sortis de l'école à quatre heures, les enfants rejoignent leurs parents. Armés d'un râteau en bois, ils raclent le sol pour ramasser soigneusement toutes les brindilles de foin laissées par la fourche.
Le "voyage" chargé, il faut le serrer à l'aide de grosses cordes attachées au "tour" puis le "peigner" au râteau pour ne pas perdre de foin en route.
Pour récompenser les enfants d'avoir coopéré sans rechigner au travail commun, on les hisse au sommet du chargement. Là, heureux d'être cahotés sur la route empierrée, on revient au village.
À l'arrivée, toute la famille doit faire la chaîne pour monter ce foin odorant jusqu'aux poutres de la grange où les plus petits sont employés à le tasser en marchant dessus. Nous avons de la chance qu'il fasse beau. Si un orage était survenu, le travail aurait été doublé et la récolte serait gâchée.
Autrefois...Chamoux : Léonie Francaz
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Puis, au début du mois d'août, pendant les vacances, vient le travail de la blache qui me laisse d'assez mauvais souvenirs.
Les marais sont couverts d'une végétation luxuriante, la "blache" composée de longues herbes coupantes, la laiche, de roseaux, de reines des prés etc. Le sol cahoteux est formé de larges plaques végétales, les "mottes", entourées de creux fangeux.
Faucher ce lourd fourrage sur un terrain couvert d'aspérités est un travail pénible pour les hommes. Heureusement, la blache sèche facilement sans trop de main d'œuvre ; mais c'est un fourrage très glissant et difficile à manier. Il faut le mettre en "cuchons" où, au bout de quelques jours, il se tassera. Parfois, quand le sol est trop inégal, on ne peut amener le chariot sur place. Il faut alors transporter la blache en tête du pré, à l'aide de "pressons". Ce sont deux solides perches en bois que l'on glisse sous le "cuchon". Deux grandes personnes, l'une devant, l'autre derrière, saisissent les extrémités des "pressons" et emportent le "cuchon"; mais l'homme qui est derrière ne voit pas les inégalités du sol: il ne doit cependant pas perdre l'équilibre pour maintenir la charge d'aplomb.
Les enfants râtellent le pré, mais cette blache coupante griffe les jambes nues au dessus des chaussettes. A la grange, il faut aider aussi au déchargement.
A force d'avoir tenu des manches d'outils depuis les vacances, les mains d'écolières qui ne sont pas encore calleuses souffrent de cloques pleines d'eau ou de sang.
Quelle malchance d'avoir une peau si fragile!
Autrefois...Chamoux : Léonie Francaz
On ne pu pa avé le fan è l’erba.
On ne peut pas avoir le foin et l’herbe à la fois.
Proverbes et dictons de Savoie Paul Guichonnet (ed. Rivages)
A.Dh.
On faisait du blé, de l’orge, de l’avoine, du seigle…
Mais le blé dur (pour les pâtes) était acheté.
On faisait aussi du maïs italien pour les poules (la pignoleta), on avait un moulin pour leur moudre le grain.
Collectif C.C.A. : G.D., H.B., M.M., M.D., F.F., E.A.
En plein mois de juillet, sous un soleil torride, c'est la moisson.
Si le blé n'exige pas d'être coupé si près du sol que le foin, par contre, le faucheur doit faire tomber les épis tous du même côté, par un mouvement précis du pied gauche. Ce travail demande de l'adresse et entraîne de la fatigue: l'homme ainsi déséquilibré doit s'appuyer surtout sur le pied droit.
Derrière lui, les femmes forment les javelles au râteau.
On moissonne en famille
Attachées avec une poignée de blé, ces javelles seront dressées par groupes de six ou huit.
Les enfants sont à leur affaire pour apporter les matériaux nécessaires à la construction de ces petites maisons appelées "dames". Dressés vers le haut, les épis pourront sécher au soleil; mais, pour ce travail, gare aux chardons, cachés dans le blé, qui piquent les bras nus tout ruisselants de sueur.
Autrefois...Chamoux : Léonie Francaz
La famille Berthollet était propriétaire d'un moulin à céréales situé sur le cours du nant, entre la centrale électrique et la fruitière.
Après la première guerre mondiale, le père de Jean, Ernest, a fait rénover le moulin.
L'exploitation a été arrêtée en 1935, pour des raisons administratives : récemment institué, le contrôle du fisc limite la liberté du meunier qui doit tenir une comptabilité contraignante, délivrer des acquits aux clients et plomber les sacs de farine. De cette époque date la disparition progressive des petites entreprises de meunerie.
Autrefois...Chamoux : Jean Berthollet
A.Dh.
Souvenir : « Ah la récolte des patates ! On cultivait surtout des bintjes. Tout le monde ramassait, en août, même les gosses : on n’en voyait pas la fin. »
Collectif C.C.A. : G.D., H.B., M.M., M.D., F.F., E.A.
Comme en France, la pomme de terre a gagné sa place au milieu du XVIIIe siècle, à la faveur - si on peut dire - de très mauvaises années pour les cultures traditionnelles : d'abord pain de famine des paysans, elle a gagné la faveur des milieux aisés; et vers 1770, la Savoie exportait des patates!
Son nom d'alors dira quelque chose aux anciens… et aux touristes : on l'appelait "truffle" ou "tartifle"!
2012 - Collecte et mise en page A.Dh.
[À Chamoux], pratiquement tout le monde avait un bout de vigne, ET un acquit pour faire son alcool; l’alambic venait en octobre – novembre, et restait trois semaines (de nos jours, il reste une demie journée)
La vigne, apprécie les terrains secs, pierreux, ensoleillés et craint le gel au printemps : toutes les pentes au sud étaient occupées par un vignoble de qualité, jusqu'à 500 m d’altitude… jusqu’à la crise du phylloxera dans les années 1860. C’était une culture noble avec des cépages apportés par les Romains (Mondeuse, Persan, Douce-Noire pour les rouges, Martin-Côte en blanc. Le vin de la Combe se vendait bien en Maurienne.
Après la destruction des vignes par le phylloxera, on a d’abord replanté des cépages américains résistants à la maladie : le Noha, le Clinton, le 4000, le Baco. Le Noah était bien représenté à Chamoux. Or, en 1935, alors que l’on avait développé des hybrides, il devint interdit de planter du Noha et du Clinton : dangereux! Pourquoi ?
Voici une description imagée de Pierre Fantin sur certains alcooliques d'antan : "Ils laissent leur verre de vin sur la table et se penchent pour boire le précieux liquide ; impossible, tant ils tremblent, de porter le verre à la bouche."
Le raisin n'est pas toxique, mais sa fermentation, développe un puissant neurotoxique. D'où, chez les gros buveurs, apparition de tremblements accentués et, plus graves, de troubles de la vue et de désordres psychiques. Le remplacement obligatoire des plants Noha par d'autres variétés uvales a heureusement mis un terme à ces inconvénients.
Autrefois...Chamoux : Jeanne Plaisance)
Pierre évoque les belles vendanges : la production de vin de la commune atteint et parfois dépasse 500 hectolitres.
Pour la distillation du marc, l'alambic reste au moins quinze jours au pré de foire.
A l'automne, le haut de Chamoux est imprégné de l'odeur acide des tonneaux qu'on lave et les "cunettes" évacuent une eau rougie par la vinasse. Le parfum sucré du vin doux et le fruité de la "gnole" masquent l'odeur lourde de la pâtée qui cuit dans le chaudron pour nourrir le cochon, que l’on engraissera jusqu'à Noël.
Autrefois...Chamoux : Pierre Fantin
Tonéro en avril, aprestâ lo bari.
Tonnerre d’avril, préparez les barils.
Proverbes et dictons de Savoie Paul Guichonnet (ed. Rivages)
Du producteur au consommateur
A.Dh.
reste à transcrire
(intéressante liste des communiers)
source:
AD073 cote 2B236 vue 163: Délibération des communiers du village de Glapigny paroisse de Champlaurent par où ils bannissent les châtaignes, sauvageons…
« Ici, on cultivait 2 des 3 variétés A.O.C. Noix de Grenoble : la Franquette et la Mayette.
On les faisait sécher sur des claies (il y en a encore dans les greniers). On vendait les noix aux restaurants , soit dans leur coque, soit en cerneaux (« gremaillées ») : ça faisait une petite rentrée d’argent.
La production d’huile de noix était destinée à la maison ; il y a eu un moulin à huile à Chamoux, puis on a donné les noix à M. Pavillet, qui passait dans les maisons. »
Collectif C.C.A. : G.D., H.B., M.M., M.D., F.F., E.A.
Le moulin à huile, installé en 1879, dans une dépendance du château, a été vendu à Jules Chiara, intendant général. Le moulin était alors englobé dans l'ensemble des propriétés cédées par la comtesse de Sonnaz.
Jean Berthollet l'a acheté en 1960, avec la maison d'habitation qu'il a fait rénover et le terrain attenant. En 1962, il a cessé de faire tourner le moulin.
Avant lui, plusieurs métayers ou locataires se sont succédés, produisant de l'huile de noix et, à partir de 1940, de l'huile de colza. Il fut même un temps où de l'huile de pépins de courge, très savoureuse, sortit du moulin.
En ce qui concerne les noix, elles sont, depuis longtemps, récoltées en quantités importantes. L'hiver, on "gremaille" à la veillée, mettant à part les cerneaux entiers destinés à la confiserie grenobloise. Les autres sont portés au moulin où le prix du broyage, fixé en 1940 à 32 francs anciens le kilo, ne varie pas au rythme de l'inflation.
Autrefois...Chamoux : Jean Berthollet
A.Dh.
Cette culture fut longtemps interdite en Savoie, et la contrebande s’organisa au XIXe siècle entre France et Savoie. Un décret impérial permit l'ouverture d'un magasin d'achat de feuilles de tabac à Chambéry et à Rumilly en 1862, à Montmélian en 1866. La culture du tabac se développa rapidement après cette date dans notre Val Gelon.
Mais elle était très réglementée, toutes les opérations, du semis à la livraison, étaient effectuées sous le contrôle de l'Etat, par un "tabaquin". Celui-ci supervisait la plantation, les différentes phases de la culture et même sur la façon de travailler du planteur.
Chaque famille avait son carré de tabac.
En mars, on semait, souvent sous châssis : les graines étaient remises sur signature en mairie d'un contrat de culture où étaient notés surfaces cultivées et nombre de pieds. Quand les plants étaient suffisamment vigoureux, on les repiquait dans un champ bien préparé et bien fumé (le tabaquin venait compter les pieds !). Pour ce faire, il fallait respecter des normes de distance : 40 cm entre deux plans, 80 cm entre deux lignes. Ensuite, il était nécessaire de rester vigilant : les vers blancs, les vers gris et les courtilières sont friands de tendres plants; on passait entre les lignes pour remplacer ceux qui manquaient.
Quand ils commençaient à devenir plus grands, on ne les remplaçait plus et on mettait des jalons (baguettes de bois) à la place des manquants, afin de faciliter le comptage.
Puis il fallait nettoyer les plants, enlever les feuilles abimées en bas, écimer à 12 feuilles (on coupait donc aussi les fleurs). On gardait 11 feuilles : 3 « feuilles de terre », 4 médianes, 4 couronnes.
(Aujourd’hui, à Saint-Jean-Pied-Gauthier, ils arrachent toute la plante, sans sélection de feuilles préalable.)
A chaque feuille enlevée, poussait un rejet qu'il fallait également retirer ; c'est là que les enfants intervenaient : ils passaient facilement sans abîmer les grandes feuilles. Plus tard, on a employé une huile, qui coulait le long de la tige et tuait les rejets.
On récoltait en septembre, avec l’avis du tabaquin : on enfilait les feuilles (soigneusement cassées à leur base) en quinconce avec une longue aiguille (2 aiguilles par « ficelée »), et on installait chaque ficelée dans le séchoir, sous le toit des maisons (le « solan » : on en voit encore beaucoup à Chamoux et aux alentours).
Pour le tri des feuilles selon leur qualité et, dans chaque qualité, selon leur longueur, il est indispensable qu'elles soient légèrement humides. Cette opération se faisait donc à l'écurie où la chaleur moite offrait des conditions idéales.
Grâce aux claires-voies dans les parois, le séchoir permettait une bonne aération ; les feuilles séchaient ainsi rapidement, ce qui évitait les moisissures.
Bien entendu, la porte était hermétiquement fermée pour éviter les dégâts des vents violents.
On laissait sécher jusqu’à Noël.
Quand le tabac devenait brun, on rassemblait les feuilles en « manoques » de 49 pièces : la cinquantième feuille nouait la manoque (comme un nœud de cravate) ; chaque manoque n’était composée que d’un type de feuilles.
Pour chaque catégorie, on groupait les manoques en balles soigneusement étiquetées, avec indication du poids et du nombre de manoques.
La veille de la livraison qui avait lieu à Aiguebelle (anciennement à Montmélian), il fallait charger les balles, les transporter au magasin et les ranger les unes derrière les autres, avec une étiquette sur la première de chaque rangée. Le lendemain, l'acheteur officiel et le représentant des planteurs estimaient la marchandise de chaque producteur, en présence de celui-ci. On était payés au poids (à Chamoux, certains savaient bien alourdir un peu).
Après avoir reçu leur argent, les planteurs de Chamoux, parfois au nombre d'une trentaine, se réunissaient à Aiguebelle pour un traditionnel banquet. Les bouteilles n’étaient pas aussi bien comptées que les feuilles de tabac et l'ambiance devenait de plus en plus gaie. Pour le retour à Chamoux, les plus sobres (ou les plus résistants) transportaient leurs compagnons et, comme toute fête finit par des chansons, les rues de Chamoux retentissaient, la nuit venue, des voix puissantes des planteurs. On reprenait en chœur et, si possible, en mesure: "J'ai deux grands bœufs dans mon étable" et "La chanson des raves et des choux" :
"Chez nous les raves et les choux
Un plat d'raves c'est agréable
Un plat d'choux c'est encore plus doux. "
Les livraisons de tabac, étaient d'autant plus joyeuses que, de 1925 à 1940, elles rapportaient aux exploitants de quoi desserrer la ceinture et faire d'indispensables achats : le chèque payait les assurances.
Jean [Berthollet] a été le dernier planteur de tabac du chef-lieu. Il a arrêté en 1982, le prix de vente du tabac étant resté stable depuis 1960.
Le Collectif C.C.A. : G.D., H.B., M.M., M.D., F.F., E.A. et le recueil de souvenirs « Autrefois...Chamoux
La deuxième culture : le tabac
D'après François Guidet, longtemps Conseiller municipal et Adjoint, il y avait dans les années 1950 à Chamoux 46 planteurs de tabac : seuls quelques "gros" agriculteurs ne pratiquaient pas cette culture.
Le tabac, c'était la grosse paie de l'année, qui a permis à nos agriculteurs de survivre.
Noël Guidet
A.Dh.
Les familles vivaient quasiment en autarcie : elles produisaient leur lait, leur viande, les légumes et fruits, et même l’huile et des fibres textiles (chanvre, laine…)
Les champs n’étaient pas larges, bordés de deux rangs de vigne (la treille) ; entre les deux rangs, un rang de fruitiers (des pêchers)
Chaque famille avait sa vigne, son champ de pommes de terre, des céréales, un potager, et quelques pieds de tabac pour l’argent liquide ; quelques bêtes pour la viande, les œufs et les laitages (cochons, vaches, poules…)
Après la guerre de 1914-1918, les conditions de vie s'améliorent sensiblement. Grâce à la polyculture et à l'élevage, on a de quoi manger.
Avec la culture du tabac, appelée par Pierre Fantin "le gagne-pain de Chamoux", on achète les produits alimentaires manquants, les vêtements et le matériel agricole qui facilite le travail, toujours effectué, comme par le passé, dans la chaleur de l'entraide communautaire.
Autrefois...Chamoux : Pierre Fantin
À cette époque où la terre faisait encore cruellement défaut, il fallait que le moindre mètre carré de sol soit exploité au maximum.
Les champs produisaient une deuxième récolte, une fois la première enlevée.
Exemples : blé suivi de maïs fourrager, de replants de betteraves, de choux, de cardons ou poireaux, pommes de terre suivies de raves ou de pesettes pour la nourriture des vaches à l'arrière-saison... Comme foin, la luzerne dominait nettement parce qu'on la fauchait trois fois pendant l'été. Au bout de quelques années, quand la luzernière commençait à rapporter moins, elle était remise en culture et remplacée par une autre.
Les cultivateurs actuels avec leurs grandes étendues de terres et leurs machines agricoles sophistiquées ont de la peine à imaginer ce qu'était la vie des paysans, quand presque tout le monde devait se nourrir du produit de ses champs et de son jardin.
On mangeait ce qu'on récoltait, l'argent était rare.
Autrefois...Chamoux : Léonie Francaz
Après la blache [en août], c'est la récolte des haricots.
En même temps que le maïs, on avait semé, dans chaque raie, des haricots à manger en grains. Ces haricots grimpants s'enroulent autour des tiges de maïs et se couvrent de nombreuses gousses. Ils sont mûrs avant le maïs, on les récolte au mois d'août. Encore une occupation pour les écoliers pendant les vacances !
Nécessitant peu de force mais de la patience et du soin pour dérouler les haricots sans casser les tiges de maïs, ce travail était réservé aux femmes et aux enfants. Le plus désagréable était le transport des petites brassées de haricots jusqu'au bord du champ à travers les maïs dont les feuilles aux bords tranchants nous agressaient le visage.
Autrefois...Chamoux : Léonie Francaz
Dans la première moitié du XXe siècle, la plaine était encore une zone particulièrement humide, voire marécageuse : habitat rêvé pour les grenouilles qui y pullulaient. Aussi on retrouve celles-ci dans la cuisine des Chamoyards simplement dorées à la poêle ou préparées en omelette.
La capture des grenouilles se faisait la nuit avec des lampes torches qui servaient à les éblouir et donc à les immobiliser. Elles étaient alors ramassées avec des râteaux avec de grandes dents en bois et rassemblées dans des sacs de jute.
Ramenées au domicile, on leur coupait la tête sur un billot fait maison pour ne garder que les membres inférieurs avant de les rincer puis de les dépecer On leur croisait ensuite les pattes pour les accrocher à un osier recourbé (photo). Les enfants étaient conviés à participer à ce travail.
Une fois dénudées, les cuisses de grenouilles étaient vendues rue du Sénat à Chambéry à un magasin «volailler et produits du terroir».
Le ramassage des grenouilles en grande quantité bien que non autorisé, était pratiqué cependant par quelques familles à très petits revenus et relevait alors plutôt du braconnage : sur la commune, trois familles, semble-t-il, s’adonnaient à cette activité et complétaient ainsi leurs maigres ressources.
Pour l’une d’entre elles, cette activité aurait permis petit à petit de se constituer un pécule suffisant pour s’offrir, vers 1958, une voiture à laquelle chacun avait rêvé au cours de soirées laborieuses …
Ce fut : une 4 CV !!!
M.T. / Le Collectif C.C.A.
1945: la guerre est finie, les prisonniers sont rentrés, le moral est revenu. Il va y avoir des naissances, et surtout du travail.
À Chamoux, les agriculteurs sont nombreux : uniquement des petites fermes, 3, 4 ou 5 vaches, sauf quelques exceptions. Les agriculteurs sèment de tout: haricots, maïs, pommes de terre. Ils tirent parti de tout; fruits, noix; et bien sûr, ils ont une basse-cour, avec des poules et leurs œufs, des poulets, des lapins.
Il faut bien vivre, il n'y a pas beaucoup d'argent; mais les gens ne sont pas malheureux.
Noël Guidet
A.Dh.
Les conditions de vie étaient difficiles et Pierre se souvient que, dans son enfance, la famille ne possédait ni cheval ni mulet. On attelait au chariot l'unique vache de l'écurie et il fallait emprunter celle du voisin pour compléter l'attelage (à charge de revanche).
Autrefois...Chamoux : Pierre Fantin (né en 1907)
Un exemple [d’entraide] : expert dans l'art de sacrifier les cochons, c'est [Joseph [Guidet]] qui, au début de l'hiver, saigne le cochon dans une vingtaine de familles. [il meurt tôt] à la suite d'une courte maladie.
Avec ses deux enfants, Marie [Guidet, sa veuve] fait tourner sa petite exploitation. Polyculture et élevage assurent tout juste l'auto-consommation. L'argent tiré de la vente de quelques produits, comme le lait et le vin, est bien vite dépensé.
Parfois même, on anticipe. C'est ainsi que, lors de la soudure, dans l'attente de la récolte suivante, Amoudry [le boulanger] vend à crédit le pain - base de l'alimentation à cette époque. On s'empresse, à la fin du mois , de régler le boulanger lorsque le "fruitier" paie le lait qui a été livré chaque jour.
L'entraide entre exploitants est de rigueur : les tâches les plus lourdes ou les plus urgentes sont effectuées en commun. En 1919, au troisième Berre, on travaille la terre avec deux mulets et une douzaine de vaches (deux dans la famille Guidet) attelées chaque jour. Dans ce contexte laborieux, l'école passe au second plan et, bien que François Guidet ait fréquenté celle de Chamoux jusqu'à l'âge de douze ans, il n'a pu obtenir le certificat d'études primaires, tant il contribue au travail familial.
En ce temps-là, la population est importante : une centaine d'habitants au premier Berre, autant au troisième Berre et une cinquantaine au second village.
Autrefois...Chamoux : François Guidet dit Bodon, (né en 1908)
Sur ses six hectares de bonne terre, Jean Berthollet pratique la polyculture ainsi que l'élevage de ses six vaches.
L'autoconsommation est assurée, le tabac et le lait rapportent l'argent nécessaire à la famille.
Autrefois...Chamoux : Jean Berthollet
Cobleyer. Pour travailler la terre (environ 5 hectares par paysan), il faut s'entendre. Pour labourer avec la braban (le brabant), il faut deux chevaux, ou plutôt, deux mulets. On appelait l'entente entre 2 voisins "cobleyer": c'était convivial, et… ça fonctionnait!
Noôel Guidet
A.Dh.
Au début du 20ème siècle, les paysans de Chamoux labouraient leurs terres avec une petite charrue à un seul versoir convexe, le tourne-oreille, en patois le "carabotu", qui poussait la terre plus qu'elle ne la retournait. Cette charrue était tirée par l'attelage de deux vaches avec, pour les plus riches, un cheval en flèche.
Le "carabotu" avait le corps en bois, muni d'une petite roue et de deux mancherons pour le tenir en équilibre. La qualité du labour n'était pas très satisfaisante. On commençait à connaître les Brabants complètement métalliques qui faisaient de la meilleure besogne, mais hélas trop lourds pour nos deux vaches.
On essaya un compromis: le demi-brabant, charrue qui avait les mêmes versoirs que le Brabant Plissonnier, mais avec un corps et des mancherons en bois et une petite roue, ce qui diminuait son poids. Mon père, à la fois cultivateur et charron-forgeron, en fabriqua avec un certain succès. Il fit même les mancherons orientables, ce qui permit à la charrue de labourer jusqu'au pied des ceps de la treille qui limitait les champs.
Comme on trouvait de moins en moins d'ouvriers agricoles, les jeunes partant en ville, on pensa à remplacer la "sape" (houe) traditionnelle par la bineuse. Il en existait quelques modèles à cinq griffes, mais peu satisfaisants parce qu'ils laissaient derrière eux une rangée d'herbe non arrachée.
Mon père fabriqua un modèle à sept griffes dont les deux à l'arrière tenaient toute la largeur du sol que la bineuse laissait net. Son butteur avait de larges versoirs qui renversaient la terre contre les plantes. Autre accessoire de la bineuse: l'arrache-pommes de terre qui, avec ses longues branches, secouait et ramenait les pommes de terre à la surface du sol. Les bineuses Delaconnay eurent un grand succès dans tout le canton et aussi en Maurienne et jusqu'à Marthod dans la région d'Albertville. Elles obtinrent une médaille et un diplôme d'honneur à un comice agricole de Chamoux.
Alors, pour mon père, le travail du fer l'emporta nettement sur celui du bois; mais comment utiliser ces machines pour ceux qui n'avaient pas de cheval? On fit un joug individuel pour la vache la plus forte et la plus docile des deux qui servaient de bêtes de trait et c'était vite fait de biner et butter un champ ou d'arracher des pommes de terre.
La guerre de 1914-18 amena une coupure : de nombreux jeunes avaient été tués (10, pour Villard Dizier), l’émigration vers les villes devenait plus importante, des familles entières disparurent des villages, laissant leurs terres à ceux qui restaient ; mais les fossés étaient moins entretenus, les terres humides produisaient moins.
Vint aussi l'époque où, les paysans vieillissant, la faux pour le foin fut remplacée par la faucheuse à traction animale. Chacun voulut avoir son cheval ou son mulet et, pour les nourrir, on ensemença les terres humides en foin de marais. Ce commencement de mécanisation diminuait la peine des hommes.
Le progrès était apprécié, quoique bien timide, comparé à aujourd'hui. On était heureux de cette amélioration lente mais régulière.
Autrefois...Chamoux : Léonie Francaz
Vers les années 1950, nous avons vu arriver les tracteurs Farmall Cub Lo-Boy1: des bijoux, ces petits tracteurs, dans nos terres morcelées - car le remembrement n'avait pas encore eu lieu.
Après il y a eu les Ferguson tractors, déjà plus gros, car les propriétés s'agrandissaient.
En 1950-55, il y avait donc 50 agriculteurs. En 2016, il en reste deux vraiment à Chamoux : les autres, s'ils travaillent les terres de la commune, ont leur siège social ailleurs. Il faut y ajouter quelques cultivateurs "double-actifs".
Le remembrement, souvent critiqué, fut une bonne chose : actuellement, les "monstres" de machines agricoles ont succédé aux petits tracteurs bijoux!
Noël Guidet
A.Dh.
Notes.
1- sur ces "petits tracteurs rouges", voir par exemple le site Les tracteurs Farmall Cub