Joseph D'Albert : le temps des révolutions en Savoie
Comment on s'ennoblit 1
• Notable
La famille Albert (ou Dalbert) était nombreuse à Orelle ; on y compte plusieurs notaires. Maître Pierre Albert ou Dalbert, notaire ducal, jouissait d'une grande considération dans sa commune et on l'y voit, en 1625 et 1630, remplir la charge de châtelain, ce qui équivalait à peu près alors à celle de receveur et de procureur municipal, avec quelques petites attributions judiciaires.
• Fermier ducal
Il devint aussi fermier des revenus ducaux dans la mestralie de St-Michel, ce qui avoisinait déjà beaucoup la noblesse. La perception des tailles et autres redevances et tributs était donnée aux enchères. Le fermier, quelles que fussent ses recettes, versait annuellement au trésor la somme portée dans son adjudication. S'il avait été prudent dans ses offres, s'il était habile à découvrir les oublis que commettaient facilement les tenanciers et les contribuables et un peu raide dans son exaction, il pouvait se faire de belles rentes. Or il paraît que Pierre Albert eut toutes ces qualités, à en juger par la fortune qu'il laissa à son fils.
• Un mariage noble
Celui-ci, ne fut pas moins habile que son père et, dès avant 1640, il avait des propriétés considérables; second pas vers la noblesse, il épousa demoiselle Philiberte, fille de noble Antoine de Mareschal de Luciane, seigneur du château de St-Martin-de-la-Porte. Le contrat de mariage fut passé le 2 septembre 1634. Les patentes de noblesse furent enfin accordées par le duc Victor-Amédée 1er, le 16 août 1635, et Jean Balthazard mit l'apostrophe dans son nom.
Ses armes furent : coupé, d'azur au lion d'or issant et d'argent au cœur de gueules frappé d'une flèche de sable pour devise, In suis viribus pretium, allusion au travail et à l'habileté du père et du fils, dont cette élévation était la récompense et pour cimier, une licorne issant d'argent.
• Un couac
Mais… les nouveaux et nombreux anoblissements prononcés par le Duc faisaient retomber sur les roturiers les tailles dont les nouveaux nobles étaient exemptés ! Donc, procès des communes, accords, nouveaux procès… Le peuple ne pliait plus si facilement.
Jean-Balthazard d'Albert eut 8 fils, dont Antoine (père de Joseph d'Albert) qui épousa Claudine, fille de Joseph Arestan, baron de Montfort, seigneur de Chamoux, Bettonnet, Montendry et Montgilbert; nous y voilà !
Joseph d'Albert, seigneur de Chamoux 1
Joseph, fils d'Antoine, seigneur de Vimines, naît en 1722** ; il sera l'héritier universel de Joseph Arestan, baron de Montfort "son grand-père maternel" (testament du 30 octobre 1745).
Le voilà donc installé à Chamoux :
un précieux acte de 1775 récapitule les biens de Joseph d'Albert, et fait l'historique des propriétaires de la seigneurie de Chamoux.
Il est porté au tableau des vassaux du duché de Savoie (1787) pour les seigneuries unies de Chamoux, Montendry et Montgilbert.
En Savoie, les années 1770 voient de nombreuses communes racheter les droits de fief des seigneurs (la révolution française a procédé plus radicalement !). L'affaire semble en route à Chamoux en 1772: cette année-là, le conseil de la commune de Chamoux, émet une Délibération indiquant les seigneurs avec lesquels il y a lieu de traiter pour des affranchissements.
Joseph d'Albert a épousé Cécile, fille de l'avocat Didier de St-Michel en 1748 : il avait 26 ans, elle, 22 ans.
En 1783, ou 85, les deux époux vendent tous les biens qu'ils ont encore en Maurienne. Mais Noble Dalbert grapille des droits à Chamoux : après avoir fait "consigner" son fief en 1775, il revendique un droit absolu sur le Bois-Seigneur2 (finis les ramassages divers dans la forêt, et tant pis pour les "misérables"!)
Ils élèvent une fille : Marie-Marguerite, née en 1749, et 2 fils: Simon-Antoine, baron de Chamoux, né en 1754, et Jean-François, baron de Montendry, né en 1758.
(Jean-François toujours à court d'argent, ruine son aîné, qui ne compte bientôt plus que sur sa solde de militaire pour vivre.)
On trouve la trace d'autres naissances : Joseph en 1751, Josepha en 1752, Claudia début 1755, Josepha-Claudia fin 1755… : devant cette répétition des prénoms, on devinera que les décès en bas âge ne touchaient pas que les couches populaires…3
Cécile meurt à Chamoux en 1789, à 61 ans ; elle est inhumée dans l'église 4. Nous savons que le prêtre qui signe le registre fit partie des émigrés : dans une liste intitulée "Noms des Émigrés et des Déportés de la Maurienne pendant la Révolution française"5, on relève son nom pour la paroisse de Chamoux: Rambaud N., curé.*
Ultime honneur avant la tempête, le 2 septembre 1791, une patente confère le titre de baron au seigneur de Chamoux.
La Révolution française !
Ses deux fils sont engagés aux côtés des armées ducales, contre les Révolutionnaires français. Simon d'Albert meurt à Suse fin juin 1794, son frère Jean-François, grièvement blessé dans un combat en 1796, meurt à Novarre en mars 1800.
La Révolution française s'installe en Savoie, la chasse aux aristocrates commence, même pour la noblesse récente ; d'abord contre les émigrés, puis plus largement. On trouve Joseph d'Albert sur des listes des nobles.
Ses dernières années sont tristes. Son fils aîné est mort, le cadet est loin, blessé.
Où est sa fille ? (son gendre et son petit-fils sont militaires savoyards, "retraités" en 1794)
Ses biens ayant été mis sous séquestre, il vit d'une misérable pension que lui sert la Nation.
Il faut renoncer aux anciens signes de noblesse et de domination ; par contrat du 28 ventôse an II (17 mars 1794), "le citoyen Joseph d'Albert donne aux citoyens Joseph Tranchant et Antoine Barbier, de Chamoux, le prix fait d'abattre, moyennant la somme de sept cents francs, les meurtrières et les girouettes du château, ainsi que les tourelles au-dessus de la grande porte d'entrée".6
Quelques semaines plus tard, nouvelle alerte, il est convoqué par l'Administration :
29 Germinal (18 avril)
D’albert ex noble
Le citoyen Joseph d’Albert ci-devant noble, habitant à Chamoux, se présente devant l’Administration pour obéir à l’ordre verbal du maire de Chamoux qui lui a dit de se rendre dans le chef-lieu de ce district pour satisfaire à l’arrêté du représentant du peuple Albitte, du 2 Ventôse dernier, il observe qu’étant âgé de plus de 70 ans, ainsi qu’il en conste du certificat de naissance qu’il a exhibé en due forme sous la date du 21 7bre 1722, les dispositions portées dans l’article 1er dudit arrêté ne le comprennent pas, il ne peut non plus y être fourni par rapport à sa conduite et moralité, d’autant qu’elles sont certifiées civiques par la municipalité de Chamoux, et par la société populaire dudit lieu, ainsi qu’en conste*** des certificats qu’il exhibe sous date des 17, 25 et 27 germinal.
La lecture de ces pièces, a-t-il dit, doit convaincre les personnes les plus incrédules, en conséquence, il demande d’être renvoyé dans son domicile à Chamoux en protestant de son dévouement à la république, et de satisfaire pour tout ce qui peut le concerner à l’arrêté du représentant et il a renouvelé sa promesse de faire un don patriotique de cent quintaux de foin à la récolte prochaine à l’administration du district.
Vu lesdites pièces et ouï l’agent national, arrête que le citoyen Joseph Dalbert ci-devant noble n’est pas compris dans les dispositions de l’article premier de l’arrêté du représentant du peuple Albitte du 23 Ventôse dernier, pour être âgé de plus de 70 ans, en conséquence, qu’il est autorisé de reprendre son domicile à Chamoux (…) 7
Joseph d'Albert décède à Chamoux, "à son domicile", le 19 Brumaire An VI (novembre 1797), "à l'âge de septante sept ans" (?) sans précision de date de naissance dans l'acte 8. Les déclarants sont deux habitants de Chamoux.
Le statut de ses biens va rester longtemps incertain : les enfants sont loin, ils ont laissé la défense de leurs droits à des "procureurs" locaux. On voit l'administration passer progressivement d'un sequestre respectueux, à une tentation d'appropriation. Mais les biens sont seulement "ascensés", quand d'autres nobles (migrés) voient leurs propriétés vendues.
Voir : 1797-99, les Biens de feu Dalbert dans Textes à l'appui
Le château reste dans la famille après la Révolution : sa fille s'est mariée avec M. Graffion9, inspecteur des mines et colonel d'artillerie, officier dont les services ont été récompensés par le titre de baron. C'est elle qui hérite de la terre et seigneurie de Chamoux.6
2012- Recherche et transcription A.Dh.
Notes
* à partir de 1814, les Registres parioissiaux sont signés de : Jean-Baptiste Rambaud. Ce dernier meurt en 1820, après 18 ans de sacerdoce à Chamoux.
** l'auteur dit : 1742, ce qui est curieux ; or, un Joseph d'Albert, fils d'Antoine, apparaît bien sur les registres paroissiaux de st-Jean de M. de 1722 (1681-1751 - cote 3E394, page 223)
*** Il conste : du latin consto : « il est établi que »
Sources bibliographiques et iconographiques
1- Gallica: Travaux de la Société d'histoire et d'archéologie de la province de Maurienne : bulletin 1885 (VOL6) p.258 et suivantes.
2- ADS B 1262 F° 496 v°
3- Archives Départementales de Savoie : Registres paroissiaux Chamoux / Baptêmes 1740-1788 (cote 4E897)
4- Archives Départementales de Savoie : Registres paroissiaux Chamoux 1779-1813 (cote 3E117)
5- Gallica: Travaux de la Société d'histoire et d'archéologie de la province de Maurienne : bulletin 1871 (VOL3) EXTRAIT DU RELEVÉ
6- Gallica: Travaux de la Société d'histoire et d'archéologie de la province de Maurienne : 1911 (SER2,T5)-1914. Pages 183, 184….
7- Archives Dép. de Savoie (cote à préciser), ce document aimablement transmis par E. Compain daterait de 1794..
8- Archives Départementales de Savoie : Registres paroissiaux Chamoux 1793-1802 4E914
9- Archives Départementales de Savoie : (Archives et inventaires » 1792-1815).
Pour les chercheurs : ressources à explorer
Archives Départementales de Savoie
ADS - Moyen-Age et Ancien Régime / Fonds des administrations d'Ancien Régime jusqu'en 1793 / Administration générale du duché
C 4921 Pièces produites, pour l’instruction des demandes, par des seigneurs (laïques), par ordre alphabétique des noms de ces seigneurs. – Lettres A à C. (1775-1792)
– État spécifique des fiefs dépendant du château de Chamoux, appartenant à noble Joseph d’Albert.
– Sommaire de la rente de la maison-forte de Saint-Avre, reconnue en faveur de noble Louis Chabod, seigneur de Lescheraine.
– Idem des servis dus au baron de Châteauneuf, dans les paroisses de Châteauneuf, Hauteville, Bourgneuf, Coise, Chamousset et Chamoux.
ADS - Savoie en général. Consignements des fiefs (SA 4). Reconnaissances, soit aveux et dénombrements, reçus et enregistrés du 7 septembre 1775 au 15 avril 1776 par Louis-Joachim Léger, substitut archiviste et commissaire général des Extentes de Sa Majesté.
Au début du registre : répertoire chronologique des personnes physiques et morales ayant effectué les reconnaissances avec analyses sommaires et table alphabétique des noms de lieux.
Consignants : (…) Joseph d'Albert, seigneur de Chamoux
Voir aussi ADS - Savoie en général. Consignements des fiefs (SA 6 - F° 154 et suivants (p. 150 à 156) : "Seigneurie de Chamoux, château, biens et rentes en dépendant"
Gallica: Travaux de la Société d'histoire et d'archéologie de la province de Maurienne : bulletin 1885 (VOL6) p.258 et suivantes : En 1749 et 1750, Joseph d'Albert vend à Jean-François de Livron, de Chamoux, tous les biens que son père possédait en Maurienne. (sa sœur aînée, Magdeleine d'Albert, a épousé Joseph de Livron en 1748).
http://as.archivesmultimedia.com Délégation générale pour les affranchissements. - Instruction des demandes. - Assemblées générales de communes, nominations de procureurs, etc. - Lettre C. - Délibération du conseil de la commune de Chamoux, indiquant les seigneurs avec lesquels il y avait lieu de traiter pour des affranchissements (1772).
un blason intéressant de 1664 au fronton d'une maison d'Orelle.
Au sommet la devise 'In suis Viribus Pretium', une licorne surmonte un cimier. L'écu est écartelé au 1 et 4 à la bande chargée de 3 coquilles qui est des Mareschal, grande famille en savoie.
http://patrimoine.amis-st-jacques.org/patrimoine_detail.php?CURR_ID_PATRIMOINE=664&ID_FORCE=DEPT&F_APPELANT=recherche_resultats.php&URL_APPELANTE=.