Jean Ernest Christin est né et mort à Chamoux.
Comme bien d'autres Savoyards, il est "monté" dans la capitale - comme laitier; mais il a vite bifurqué, et sa carrière fut celle d'un choriste apprécié à l'Opéra de Paris. Il est revenu à 64 ans bien sonnés dans son village natal.
Quelques Chamoyards encore se souviennent avoir entendu dans leur enfance leurs grands-parents parler avec émotion de son chant de Noël dans l'église…
Détails sur une longue carrière lyrique, et une vie très remplie.
Il faut dire que le chant était apprécié dans la famille de Jean Ernest : on parlait aussi de la belle voix de l'abbé Christin, et du joli timbre d'une cousine.
Jean Ernest est né à Chamoux, le 9 décembre 1858 1.
Ses parents, Louis Christin et Joséphine Fantin, étaient alors cabaretiers à Chamoux. Nombreuse fratrie : 10 enfants.
C'est peut-être pourquoi Jean Ernest quitte le village et rejoint à Paris son grand frère Pierre, épicier rue Petit dans le 19e arrondissement. Ernest sera laitier.
Il se marie le 20 février 1882 avec Thérèse Ernestine Claray, une Chamoyarde de vingt ans 1, qui décède à Paris quelques mois après, le 12 décembre 1882 à 22h 2 : elle laisse une petite fille, Thérèse Ernestine Christin, née le 12 décembre 1882 à 19h 2. Ils vivaient alors 8, rue de Chartres dans le 18e.
Thérèse Ernestine Claray née le 6-8-1862, était la fille de Joseph Claray négociant, et Sophie Mollier. Elle fut inhumée à Paris, mais une inscription conserve sa mémoire sur une stèle du cimetière de Chamoux.
Portrait de Christin par Marius Neyroud (plaque photographique) •>
Le costume de scène Renaissance pourrait être celui des "Huguenots"
En mars 1889, nous trouvons Ernest sur le programme3 du théâtre-école de la rue Vivienne : il interprète Guillaume Tell de Rossini; parallèlement à ses activités, il a donc pris des cours de chant. Et il n'a pas fini!
En 1891, nous le retrouvons choriste à l'Opéra de Paris, il chante dans Thamara 4, opéra en 4 tableaux sur un sujet antique et religieux. Il a 32 ans. Il restera dans les chœurs jusqu'en 1923 au moins.
Janvier 1892 : le voilà de nouveau participant au concert d'une école de chant: celle d'Émilie Ambre, cantatrice et épouse d'un compositeur et organiste dont nous reparlerons : Émile Bouichère. Ernest chante L'Africaine. Il a, dit un critique musical "une jolie voix de ténor" 5.
On retrouve très régulièrement le nom de Christin dans les carnets de Régie des chœurs de l'Opéra, et dans les annonces de spectacles de la Presse: avec ses collègues, il interprète un nombre impressionnant d'opéras.
En avril 1895, il se remarie (et bénéficie de 3 jours de congé).
Cette fois, il a 36 ans 1/2, et habite rue St-Lazare, dans le 9e. Il épouse - à Paris 18e 6 - une Parisienne de 34 ans, Marthe-Jeanne Gaudron, fille de Françoise Abelle Gaudron.
L'acte de mariage est important pour nous (voir fichier attaché) : il fait le lien entre notre Chamoyard, et le Christin bien attesté à l'Opéra de Paris entre 1890 et 1924 ; nous identifions sans doute possible Jean-Ernest Christin, ET nous avons sa nouvelle profession (artiste lyrique); et ses témoins sont des musiciens : Sylvain Garet, artiste lyrique, et surtout, Émile Bouichère "un des maîtres de chapelle les plus renommés de Paris" 7, compositeur et organiste à l'église de la Trinité, où il succède à Alexandre Guilmant: tout comme son prédécesseur et maître, il semble promis à une grande carrière; mais Émile Bouichère meurt brutalement en septembre 1895, à 34 ans)
Ainsi, dès la trentaine, "notre" Christin était lié à de belles figures - il reste d'ailleurs dans le cercle d'Alexandre Guilmant.
En septembre 1895, il chante pour le mariage de la fille de Guilmant 8:
"Pendant la messe, on a exécuté une très belle musique, avec soli de MM. Vergnet, Caron, de Vroye, Christin, et Salomé qui tenait l'orgue"
En mai 1896, nouveau mariage huppé 9: "Très belle musique pendant la messe avec soli de MM. Octave Spoll, Caron, Christin. La maîtrise était dirigée par M. Planchat. Aux grandes orgues M. Guilmant."
En septembre 1899,
"L'inauguration de l'orgue de Vimoutiers, construit par la maison Cavaillé-Coll, vient d'avoir lieu avec le concours de M. Alexandre Guilmant, dont la présence avait attiré un grand nombre d'amateurs des villes voisines. Le succès a été complet, pour le facteur et l'éminent organiste dont on a admiré la magistrale exécution. M. Beyer, élève de M. Guilmant et organiste titulaire, a supérieurement joué le prélude et fugue en sol de Bach. M. Christin prêtait le concours de sa belle voix à cette cérémonie, présidée par Monseigneur l'évêque de Sées." 10
<• Alexandre Guilmant par Marius Neyroud
À l'Opéra de Paris, le 3 avril 1898, on donne la 1ère représentation de Massenet (directeur de l'établissement) : Thaïs. Christin va chanter cette œuvre un nombre incalculable de fois!
Mais le répertoire ne se limite pas à cet opéra : on donne en alternance des œuvres de :
- Richard Wagner : Tanhauser - Les Maitres Chanteurs - Lohengrin
– Camille Saint-Saëns : Samson et Dalila
– Ambroise Thomas : Hamlet
- Étienne Méhul : Joseph
- Giacomo Meyerbeer : Le Prophète
- Hector Berlioz : la Prise de Troie
- Ernest Reyer : Salambô
– Émile Paladilhe : Patrie
- Ernest Chausson (?) : Lancelot
– la Marseillaise .11
Grand écart permanent pour les choristes! Beaucoup d'opéras à thème religieux et antique.
Projets de costumes de scène pour les choristes - dont Christin - de l'opéra de Berlioz "la Prise de Troie". Gallica.fr/Bnf •>
1903. Christin a 44 ans ; il prend des responsabilités dans la vie associative.
"COURRIER DES THEATRES 12.
L'assemblée générale de l'Association philanthropique des artistes de l'Opéra a été tenue ce matin, sous la présidence de M. A. Giraudet, professeur de déclamation lyrique au Conservatoire. Après la lecture du compte-rendu de l'exercice 1902, M. Christin a été nommé receveur général, et M. Binon vérificateur de la comptabilité."
La Presse le suit dans sa vie mondaine et professionnelle :
1910 (il a 51 ans), lors des obsèques du compositeur Charles Lenepveu, académicien, Officier de la Légion d’honneur, il est dans l’assistance, et on le voit 13:
« Dans l'assistance, on remarquait : MM. Alfred Bruneau, représentant M. Dujardin-Beaumetz ; Christin, Gabriel Grovlez, Marcel 'Fournie, Marc Delmas, André Gailhard, Noël Gallon, E. Flament, Cesare Galeotti, Mlle Nadia Boulanger, MM. Jean Prudhomme, E. Beaudu, Pierre Charrier, Stan Golestan, Fillot, Vaillant, Gilbert, Marquet, Henri Classet, de Bertha, R. de Laboulaye, Maurice-Jules Lefebvre, Eugène d'Eichtal, Desveaux, Vérité, Liert, docteur Lucet, Mmes Mancini, Barrai, Rivière, Coraline de Savres, etc.»"
Dans les potins de 1911, on croirait trouver notre presse "people" 14 :
Échos : 0ù ils soignent leurs cordes vocales.
• A Enghien:
- Mmes Kutcnera, Berthe Marietti, Siamé, Tarioil-Baugé, Anna Robert, Lesage, Marie et Emilie Taléma, Smits, Grillières, Mvrame, Lyonnet, Polak, Péguy, Dos Santos, Berny, Mlarquin, Viviane Lavergne.
- MM. Dessonnes, Launay, Cahuzès, Isidore Massuel, Binon, Gormol, Albens, Ungelo di Landadio, Vallès, Dutilloy, Christin, Fayard.
Et puis, en 1914, c'est l'événement mondain : une œuvre de Wagner restait réservée à Bareuth par la volonté des héritiers; selon la loi allemande, elle "tombe dans le domaine public" en janvier. L'Opéra de Paris est prêt! La presse relaie l'information :
1er janvier 1914 - COURRIER DES THEATRES 15.
Ce soir à l'Opéra, à 6 heures précises, répétition générale de Parsifal, drame sacré de Richard Wagner, version française de M. Alfred Ernst,
Distribution :
Kundry Mme L. Bréval
Parsifal MM. Franz
Gurnemanz Delmas
Amfortas Lestelly
Klingsor Journet
Titurel A. Gresse
Filles-Fleurs : Mlles Yvonne Gall, Laute-Brun, Daumas. Campredon, Bugg, Lapeyrétte, Courbières, Kirsch, Goulancourt, Montazel, Bonnet-Baron, Delisle, Marie Habert, Durif, Gauley-Texier, Btpume Lédine, Lenage, Dupiri-Perrêt, Nizet-Cosset, Àudan, Davry, varnier-Nôlick, Bonneville Gardy, Doyen Bertin.
Ecuyers : Mmes Laute-Brun, Montazel, Delsaux; MM. Nansen, Revol
Chevaliers : MM. Dutréix, Cerdan, Triadou, Ezanno, Delpouget, Gonguet, Chappelon, Cousinou, Claudin, Delrieu, Prim, Barutel, Fiéville, Brunlet, Cherrier, Bernard, Delmont, Miellet, Marchisio, Cheynal, Brulfoit, Armand, Augros, Leroux, Lacaze, Christin, Taveau, Cottel, Nàrçon, Fràdin.
1er acte : de 6 heures à 7 h. 45. - 2" acte : de 8 h. 45 à 9 h, 55. - 3? acte : de lu h. 25 à 11 h. 40.
L'orchestre sera dirigé par M. André Messager.
A chaque acte, les portes seront fermées au lever du rideau.
Par ailleurs… Thaïs de Massenet s’immisce encore dans la programmation, les 06-02-1914, 11-03-1914, 14-04-1914, 28-06-1914.
La guerre passe… Nous retrouvons la trace d'Ernest Christin en 1920, dans un curieux contexte : un long article 16 relate la grève des artistes de l'Opéra de Paris, et les négociations. Christin (61 ans), parle au nom de ses collègues des chœurs. Extrait (le fichier joint propose la globalité de l'article):
A 13 h. 30, M. Bary, délégué de la chambre syndicale des musiciens, fit son entrée et vint transmettre à l'assemblée le mandat que lui avaient confié les grévistes. La question était celle-ci: le personnel qui reprendra le travail, d'après la nouvelle réorganisation du théâtre consentira-t-il à abandonner 5 pour 100 de ses appointements pendant un an pour permettre de donner des secours immédiats au personnel mis en disponibilité.
M. Christin, au nom des chœurs déclara. que, dans son organisation, on était décidé à le faire, de grand cœur.
Le personnel de la danse, "après discussion, décida qu'on ferait ce qu'on pourrait lorsque tout le monde serait rentré".
M. Montagné, chef machiniste, transmit le refus formel des machinistes.
La dernière apparition de Christin dans la Presse semble dater d'octobre 1923; il avait alors 64 ans. À l'occasion de la Rentrée des spectacles, Comœdia 17 donne la liste de tous les artistes de l'Opéra: Christin figure encore parmi les choristes.
Puis il se retire à Chamoux avec son épouse.
Thérèse Ernestine, la fille d'Ernest née du premier mariage, s'était mariée en 1905 à Chamoux avec un instituteur de Chignin, Jean Etienne Berger 2.
Quand Ernest Christin meurt à 71 ans (le 26 octobre 1929), c'est son gendre, Jean Berger, qui déclare le décès18. L'ancien ténor est inhumé à Chamoux dans la tombe familiale, celle où reposaient déjà ses parents, et l'abbé (décédé également en 1929). Sa 2ème épouse, Marthe-Jeanne, le rejoindra en 1939.
Sa fille Thérèse (décédée en 1937) et son gendre Jean Berger (décédé en 1965) sont également inhumés à Chamoux, tout près. C'est sur leur stèle qu'est évoquée la mémoire de Thérèse Ernestine Claray.
* * *
Nous tenons à dire notre considération pour la très grande richesse du site de la Bnf "Gallica.fr": il ne nous aurait pas été possible de réunir, et surtout, de confronter grâce à un délai de découverte rapide, tous les documents qui ont permis de "tricoter" notre recherche. Cet article en mémoire d'une figure artistique de Chamoux, peut toujours être retouché, enrichi...
Recherche, transcription : A. Dh., 2015, 2017
à partir d'une photo de Marius Neyroud mise à disposition par Michel M.,
et des pistes proposées par Maurice T. et Élisa C.
Sources
1- Registres paroissiaux - Chamoux (ADS, Archives en ligne)
2- Archives de l'État-civil des Mairies de Paris (http://canadp-archivesenligne.paris.fr/)
3- L'Orchestre : revue quotidienne des théâtres / dir. : Jules Duval 24-03-1889
4- Les Archives de l'Opéra. Régie. Régie des chœurs.Séries 1 et 2 (gallica.fr)
5- L'Europe artiste n°4 / dim 24-1-1892 (gallica.fr)
6- Archives de l'État-civil des Mairies de Paris (http://canadp-archivesenligne.paris.fr/)
7- Le Gaulois du 7 août 1894 (Gallica). Voir aussi une belle notice : http://www.musimem.com/bouichere.htm
8- Le Figaro : journal non politique. 29 septembre 1895 (page 2)
9- Le Figaro : journal non politique - 02 mai 1896 (in : gallica.fr)
10- Le Monde artiste n°36 : 03-09-1899 p. 574 (in : gallica.fr)
11- Les Archives de l'Opéra. Régie. Régie des chœurs.Séries 1 et 2 (Ggallica.fr)
12- Le Figaro : journal non politique - Date d'édition : 10 juin 1903 (in : gallica.fr)
13- Le Journal amusant : journal illustré, journal d'images, journal comique, etc. 1910-08-27 – n° 583, p 14 (in : gallica.fr)
14- Comœdia 17-08-1911 (in : gallica.fr)
15- Le Figaro : journal non politique Date d'édition : 1 et 4 janvier 1914, mais aussi Comœdia qui rediffuse l'annonce 20 fois, jusqu'en juin 1914.
16- Comœdia - 28-11-1920 (in : gallica.fr)
17- Comœdia : 20-10-1923 (in gallica.fr)
18- Registres d'Etat-civil de la Mairie de Chamoux