1597-1601 : Henri IV, Lesdiguières, Sully…
"Rusé comme un renard " selon Henri IV, François de Bonne de Lesdiguières (1543-1626), maréchal de France, jouit d'une belle réputation en France et en Dauphiné : un pavillon du Louvre porte son nom, une avenue et un lycée hôtelier (hébergé dans son Hôtel) ont conservé son nom à Grenoble, où l'homme fut un bon gouverneur.
Mais en Savoie… c'est une autre chanson.
Les guerres de religion partagent la France. Lié très jeune au futur Henri IV - protestant comme lui-, mais né dans les Hautes-Alpes, il mène le camp huguenot dans les Alpes du Sud et en Dauphiné. Il prend Grenoble en 1590, et s'affronte dès lors au Duc de Savoie, qui a rejoint la Ligue (catholique). Tout comme Henri IV, il abjurera sa foi protestante, en 1622, condition nécessaire à sa promotion à la charge de Connétable : une charge qui valait bien une messe ?
Le Duc de Savoie Charles-Emmanuel 1er a des ambitions, et rêve d'étendre le Duché à l'ouest: dans les années 1590, associé aux Ligueurs (soutenus par l'Espagne), il intervient jusqu'en Provence, prend le Fort d'Exiles (une position avancée et dépôt d’armes du roi de France sur le versant italien des Alpes, à la fin du XVe siècle), fait construire le Fort Barraux près de Pontcharra…
Il engage ainsi pour les Savoyards une période d'insécurité qui va durer 9 ans.
En 1597, Lesdiguières assiège le château de l'Huile, prend le Fort Barraux; bon connaisseur des passages et des ressources locales, il mène sans cesse ses troupes d'un point à l'autre, en vivant sur le pays, semant la désolation… comme il est de règle.
Mais il n'est pas le seul… En 1597, les Espagnols, catholiques, alliés du Duché, comptent passer du Piémont à la Franche-Comté par les Alpes : ils sont en Maurienne et en Tarenaise quand Lesdiguières, coupant par les hauteurs, tombe sur les Espagnols en Maurienne, les repousse au Mont-Cenis, puis repart sur Aiguebelle, prend le Fort de Charbonnière, que le Duc reprend l'hiver suivant.
Une attaque du Fort de Charbonnières
La France et l'Espagne signent la Paix de Vervins en mai 1598.
Mais le Duc de Savoie Charles-Emmanuel complote : Henri IV envahit la Savoie.
La Bresse est prise, puis Chambéry, les troupes françaises remontent l'Isère, puis la Maurienne et la Tarentaise. On se bat, au Fort de Montmélian (qui capitule bêtement en 1600), au Fort de Charbonnières… Henri IV et Sully sont présents.
<• Henri IV
La paix est signée à Lyon en janvier 1601 : le Duché a perdu la Bresse, le Bugey, Genève, et gagné Saluces : son avenir sera décidément en Piémont.
Et les Savoyards dans tout ça ?
Le confluent de l'Arc avec l'Isère est depuis longtemps un lieu stratégique, bien pourvu en ouvrages de défense : de Miolans (dès l'Antiquité), aux forts de Montperché, Montgilbert (au XIXe siècle)…
Rien d'étonnant, si les châteaux féodaux locaux ont été au cœur de quelques assauts. Ils étaient d'ailleurs organisés en réseau : "Dans le château de Charbonnières était encore une tour aux signaux ignés. Elle correspondait avec les tours d'Ayton, de Montmayeur, de Montmélian, avec celles d'Argentine, des Hurtières, du Châtel, etc. Un de ces fanaux allumés, l’alarme se propageait comme un incendie de tour en tour, de vallée en vallée, et immédiatement les vassaux qui les habitaient, prenant les armes, allaient se réunir sous la bannière du seigneur. Aiguebelle devenait nécessairement alors un grand point central des forces militaires." 1
Les érudits de la Société d'Histoire de la Maurienne ont fait un long récit des combats de 1597-98 (cliquer ou voir "Textes à l'appui" ci-contre).
Même si les troupes n'étaient généralement pas très nombreuses, il faut imaginer leur va-et-vient entre Montmélian, La Rochette, Aiguebelle…
Les déplacements et les assauts de l'été 1597 ont forcément laissé des traces dans les récoltes, sans parler des paysans requis pour la défense (successivement les châteaux de Chamousset, de la Rochette et des Huiles appartenant aux seigneurs de la Chambre*, et où il n'y avait que quelques paysans armés, se rendirent aussi en juillet 1597) des pillages et autres méfaits de troupes de mercenaires.
Or, ces dégats concernent l'ensemble des vallées : comment subvenir aux besoins l'hiver suivant, surtout lorsque les troupes sont revenues en février ?
« Le 21 février 1598, dit Guichenon, le duc dépêche Albigny venu peu de temps auparavant à son service, avec son avant-garde composée de 10 compagnies de cavalerie et de l'infanterie savoisienne et piémontaise pour se saisir d'Aiguebelle avant que les ennemis y puissent mettre le feu. Le duc suit avec don Jean de Mendozza et les espagnols ensuite 4000 Milanais du comte Trivulce et de Barbo, et 10 compagnies de chevaux-légers commandées par Jacques de Montmayeur, comte de Brandis ; ces compagnies se logent à Chamoux.
L'arrière-garde, commandée par don Amédée de Savoie, se cantonne au Bettonet ; elle comprend le régiment de don Amédée, celui du baron de la Val-d'Isère, les Suisses et 10 cornettes de cavalerie.**
D'Albigny se rend en un jour de Chambéry à Aiguebelle. Il monte à Argentine où il enlève une compagnie de carabins. qui soupaient. Il envoie à Epierre le baron de la Serra, qui s'y barricade.
Charles-Emmanuel, laissant une garnison à Chamoux et à Aiton, vient loger à Aiguebelle et reconnaît lui-même le fort de Charbonnières, dont il commence l'attaque le 6 mars. Le 7, tout étant prêt pour l'assaut, Arces, gouverneur de la place, se rend à d'Albigny." 3
Par ailleurs, les places fortes dévastées ont été rapidement réparées, reconstuites, après le retour à "la paix" : sans états d'âme, on fait encore appel à la population locale.
"Par ordre du marquis de Lans, gouverneur de la Savoie, en date du 24 juin 1613, la commune de Saint-Julien, entre autres, fut contrainte d'envoyer pendant quinze jours neuf pionniers travailler à ce fort. Déjà en 1604 elle en avait fourni de la même manière. Il paraîtrait donc que chaque commune contribuait aux corvées à faire dans les forts d'Aiguebelle et de Montmélian." 2
Où l'on trouve Chamoux transformé en P.C. de campagne.
1597. Pierre de Seyssel-La Chambre est dans les armées ducales (voir note ci-dessous)
Le 23 juin 1597, Lesdiguières, ayant forcé les passages des montagnes de St. Sorlin et de Fontcouverte, occupe St-Jean. Le vainqueur ne manque pas de faire d'abondantes réquisitions.
Voici l'ordre adressé aux syndics des trois étapes de Lanslebourg, Modane et St. Jean.4
On voit qu'en août 1597, sous le commandement de Lesdiguières, l'intendance du roi Henri IV est installée à Chamoux.
« Il a été résolu au conseil du roy près monsieur Desdiguières que pour soubvenir à l’entretenement des garnisons que le roy a estably en ceste province dempuys le Montcenix. jusques à Leullye inclusivement qu'on est cuntrainct laysser assès fortes à cause de la proximité de l’armée de monsieur de Savoye pour le présent moys d’aoust et septembre prochain de faire et ordonner une levée en denrées tenant lieu de nourriture et entretenement tant sur vous que sur lestappe entiere d’ayguebelle de la somme de 3587 escus à soixante solz de roy pour escu comprins en ce les ustensilles boys et chandelles en ceste somme sellon lordre et cottization de la gabelle cy devant faicte par monsieur de Savoye revient pour chescune estappe la somme cy apprès escripte le florin de Savoye feysant ung florin de roy pour chescung des dicts deux moys. Par ainsi la présente veue vous ne ferez faulte de fere la levée de la culliette de la dicte somme ycelle pourter et remettre en deniers comptans entre les mains de maistre Bonard mon commis à St. Jean-de-Maurienne avec ung sol pour livre pour le droict de recepte suyvant l’ordonnance de monseigneur entre cy et le quinziesme de ce moys autrement je seray contrainct de vous assigner aux cappitaines la seconde pour du second moys sera le dixiesme de septembre extimant que satisferez incontinant à ce dessus pour obvier à la cource et ravaige des soldats pour vostre prouffict. Je ne vous ferez celle plus longue que pour prier Dieu mes frères que vous maintienne en sa garde. Du camp de Chamoux ce 6 aoust 1597. |
"Il a été décidé au conseil du roi, près M. de Lesdiguières, que, pour subvenir à l'entretien des garnisons assez fortes (à cause de la proximité de l'armée de Monsieur de Savoie) établies par le roi en cette Province, depuis le Mont-Cenis jusqu'à l'Huile incluse, Sachant que vous ne manquerez pas de faire la levée de la somme dite par la présente, vous la ferez remettre en denier comptant entre les mains de Maître Bonard, mon commis à St-Jean de Maurienne, avec un sol pour livre pour le droit de recette, selon l'ordonnance de Monseigneur entre ce jour et le 15 du mois ; à défaut, je serais contraint de vous assigner aux capitaines. Du camp de Chamoux, ce 6 août 1597" |
|
« Je vous envoyerey au premier jour le… ou mandat de la dicte imposition faicte par mon dict seigneur. Vous ferey les dicts payements en espèce et valleur pourté par le règlement cy devant faict. |
" Je vous enverrai au premier jour, le (?) ou le mandat de l'imposition faite par mon seigneur. Vous ferez les paiements en espèce et valeur selon le décompte suivant : |
A.Dh.
Notes
* le Marquis de la Chambre est alors Pierre de Seyssel.
Dans La maison de Seyssel : ses origines, sa généalogie, son histoire, 1900 (sur Gallica.fr), Marc de Seyssel-Cressieu précisait :
"Bien que conseiller d'État et chambellan du duc de Savoie, Pierre de Seyssel-La Chambre avait pris part aux innombrables guerres du commencement du règne de Charles-Emmanuel. A la tête d'une des deux troupes de cavalerie qui se trouvaient en Savoie, il avait défendu les places de cette province contre l'armée de Lesdiguières et,au moment du traité de Vervins, il avait le commandement d' un des 6 corps qui composaient la cavalerie de l'armée du duc de Savoie. Le 1er de ces corps était sous les ordres du marquis d'Est, le second sous ceux du marquis de Saint-Rambert, c'est le 3ème que commandait le marquis de La Chambre, le 4ème obéissait au comte de La Roche, tandis que Charles-Emmanuel s'était réservé la direction du 5ème et avait confié celle du 6ème au marquis de Lullin.
C'est vers cette époque que, pour la première fois, nous constatons, en Savoie, l'existence d'une armée permanente établie sur des bases solides et si le duc de Savoie avait su la masser sur la frontière française, au lieu d'en laisser la plus notable part inactive dans les plaines du Piémont, il est probable qu'il n'eût pas eu à déplorer la perte de la Bresse et du Bugey : l'armée d'Henri IV qui envahit la Savoie en août 1600 n'était composée que d'un régiment de la garde (1500 hommes), de trois compagnies suisses et de 400 chevaux du régiment de Créquy. (Mémoires du maréchal de Bassompierre.)"
** les chevau-légers (cavalierie légère) : une compagnie compte entre 40 et 100 hommes (nobles), accompagnés de pages, valets, archers…
Sources bibliographiques et iconographiques
1- Gallica.fr : Travaux de la Société d'histoire et d'archéologie de la province de Maurienne: bulletin 1894 (SER2T1) (fin chap.II)
2- Archives de la commune de St-Julien, notes de M. Dalbanne, notaire, citées dans le bulletin ci-dessus.
3- Gallica.fr : Histoire généalogique de la royale maison de Savoie, justifiée par titres, fondations S. Guichenon - 1660
4- Gallica.fr : Travaux de la Société d'histoire et d'archéologie de la province de Maurienne : bulletin 1881 (VOL5)
Illustrations :
- Médaille du roi Henri IV, et
- Charbonnière (cliché Mougin : Le Rocq et Fort de Cherbonnière sur la rivière d'Arc (voir t. I, p. 413 et 460). Pl. XXVIII Par Chastillon, Bibl. de Chambéry. )
Les deux dans : http://gallica.bnf.fr/ Mémoires et documents publiés par la Société savoisienne d'histoire et d'archéologie (Revue) 1910 (T48 = SER2,T23)- (T49 = SER2,T24).
- Carte du confluent : ?
Bibliographie
• Histoire de la Savoie, Henri Ménabréa (1° édition, Grasset, 1933)
• fac simile des Mémoires de Sully : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b9007257z/f6.image
• Sully à Aiguebelle : voir Mémoires de Sully, principal ministre de Henri-le-Grand, Vol. 4 par Maximilien de Béthune duc de Sully http://books.google.fr/
• Fort Barraux : voir http://www.migrations.fr/regimentfortbarraux.htm
Pour les curieux et les chercheurs : ressources à explorer
Archives départementales de Savoie
Trésor des chartes
SA 41 Ventes, reconnaissances, contrats de mariage, testaments et autres actes concernant des bourgeois de Chambéry et leurs transactions immobilières et intéressant en particulier les familles Calod et de Leschaux (1420-1570).
- Capitulation des syndics, du conseil et de la ville de Chambéry, qui font leur reddition à Henri IV, roi de France, acte énumérant les requêtes formulées par la ville et les articles portant consentement du roi. Fait au camp des faubourgs de Chambéry, double copie d'époque (20 août 1600).
ADS - IR 177b à f - Archives & inventaires » M.A. et Ancien Régime » Duché de Savoie » Archives camérales » Affaires militaires:
Étape de la Rochette (fol.49) : nombreux comptes de fournitures de guerre. En particulier :
- SA 6660, n°3 1595 - Compte-rendu par Maître Claude Trébuchet et Jean Babu au sieur de Charanson , commis en cette partie, et député des 400 varcines avoine par eux reçues des sieurs Comtes de La Chambre et par eux délivrées aux officiers et soldats de la compagnie du Sieur Colonel Camet (?)
- SA 6662, n°5 1599 dès le 4 de ? et mars et juin 1600 - Compte d'Humbert Pivard pour le paiement de la garnison des châteaux de l'Huille et Arvillars
Étape de Chateauneuf (fol.71) : SA 6729, n° 31, 1600 et 1601 - Comptes-rendus par Maître Juillaume Chatelard con-fermier de Châteauneuf en Savoie, exacteur des deniers destinés pour le paiement de la solde dûe au capitaine du château de Lhullis - Clos le 14 juin 1601 par le sieur Depradel d'Auturin juge dudit lieu.
Comptes particuliers des étapes de la province de Maurienne (fol 225) : SA 7388, n°17, 1602 à 1604, et 2 quartiers du 1605. Comptes de Maître Jean-Pierre Crêtet, commis à l'exaction des ustensiles des espagnols logés en la province de Maurienne, Montmeillan et Aiguebelle.
SA 743, n°16, 1620. Compte des dépenses souffertes par le Général de l'étape de Maurienne au passage des troupes espagnoles et napolitaines.