Le tabac

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La culture du tabac

Cette culture fut longtemps interdite en Savoie, et la contrebande s’organisa au XIXe siècle entre France et Savoie. Un décret impérial permit l'ouverture d'un magasin d'achat de feuilles de tabac à Chambéry et à Rumilly en 1862, à Montmélian en 1866. La culture du tabac se développa rapidement après cette date dans notre Val Gelon.
Mais elle était très réglementée, toutes les opérations, du semis à la livraison, étaient effectuées sous le contrôle de l'Etat, par un "tabaquin". Celui-ci supervisait la plantation, les différentes phases de la culture et même sur la façon de travailler du planteur.

Chaque famille avait son carré de tabac.
En mars, on semait, souvent sous châssis : les graines étaient remises sur signature en mairie d'un contrat de culture où étaient notés surfaces cultivées et nombre de pieds. Quand les plants étaient suffisamment vigoureux, on les repiquait dans un champ bien préparé et bien fumé (le tabaquin venait compter les pieds !). Pour ce faire, il fallait respecter des normes de distance : 40 cm entre deux plans, 80 cm entre deux lignes. Ensuite, il était nécessaire de rester vigilant : les vers blancs, les vers gris et les courtilières sont friands de tendres plants; on passait entre les lignes pour remplacer ceux qui manquaient.
Champ de tabac à St-Jean Pied-Gauthier - Photo A.D. / CCA 2011Quand ils commençaient à devenir plus grands, on ne les remplaçait plus et on mettait des jalons (baguettes de bois) à la place des manquants, afin de faciliter le comptage.
Puis il fallait nettoyer les plants, enlever les feuilles abimées en bas, écimer à 12 feuilles (on coupait donc aussi les fleurs). On gardait 11 feuilles : 3 « feuilles de terre », 4 médianes, 4 couronnes.
(Aujourd’hui, à Saint-Jean-Pied-Gauthier, ils arrachent toute la plante, sans sélection de feuilles préalable.)
A chaque feuille enlevée, poussait un rejet qu'il fallait également retirer ; c'est là que les enfants intervenaient : ils passaient facilement sans abîmer les grandes feuilles. Plus tard, on a employé une huile, qui coulait le long de la tige et tuait les rejets.
 

La collecte et le séchage

On récoltait en septembre, avec l’avis du tabaquin : on enfilait les feuilles (soigneusement cassées à leur base) en quinconce avec une longue aiguille (2 aiguilles par « ficelée »), et on installait chaque ficelée dans le séchoir, sous le toit des maisons (le « solan » : on en voit encore beaucoup à Chamoux et aux alentours).
Pour le tri des feuilles selon leur qualité et, dans chaque qualité, selon leur longueur, il est indispensable qu'elles soient légèrement humides. Cette opération se faisait donc à l'écurie où la chaleur moite offrait des conditions idéales.
Grâce aux claires-voies dans les parois, le séchoir permettait une bonne aération ; les feuilles séchaient ainsi rapidement, ce qui évitait les moisissures.
Préparation des manoques de tabac - Fonds N.B. / CCABien entendu, la porte était hermétiquement fermée pour éviter les dégâts des vents violents.
On laissait sécher jusqu’à Noël.
Quand le tabac devenait brun, on rassemblait les feuilles en « manoques » de 49 pièces : la cinquantième feuille nouait la manoque (comme un nœud de cravate) ; chaque manoque n’était composée que d’un type de feuilles.
Pour chaque catégorie, on groupait les manoques en balles soigneusement étiquetées, avec indication du poids et du nombre de manoques.

La livraison

La veille de la livraison qui avait lieu à Aiguebelle (anciennement à Montmélian), il fallait charger les balles, les transporter au magasin et les ranger les unes derrière les autres, avec une étiquette sur la première de chaque rangée. Le lendemain, l'acheteur officiel et le représentant des planteurs estimaient la marchandise de chaque producteur, en présence de celui-ci. On était payés au poids (à Chamoux, certains savaient bien alourdir un peu).

Après avoir reçu leur argent, les planteurs de Chamoux, parfois au nombre d'une trentaine, se réunissaient à Aiguebelle pour un traditionnel banquet. Les bouteilles n’étaient pas aussi bien comptées que les feuilles de tabac et l'ambiance devenait de plus en plus gaie. Pour le retour à Chamoux, les plus sobres (ou les plus résistants) transportaient leurs compagnons et, comme toute fête finit par des chansons, les rues de Chamoux retentissaient, la nuit venue, des voix puissantes des planteurs. On reprenait en chœur et, si possible, en mesure: "J'ai deux grands bœufs dans mon étable" et "La chanson des raves et des choux" :

"Chez nous les raves et les choux
Un plat d'raves c'est agréable
Un plat d'choux c'est encore plus doux.
"

Les livraisons de tabac, étaient d'autant plus joyeuses que, de 1925 à 1940, elles rapportaient aux exploitants de quoi desserrer la ceinture et faire d'indispensables achats : le chèque payait les assurances.

Jean [Berthollet] a été le dernier planteur de tabac du chef-lieu. Il a arrêté en 1982, le prix de vente du tabac étant resté stable depuis 1960.

Le Collectif C.C.A. : G.D., H.B., M.M., M.D., F.F., E.A. et le recueil de souvenirs « Autrefois...Chamoux

La deuxième culture : le tabac
D'après François Guidet, longtemps Conseiller municipal et Adjoint, il y avait dans les années 1950 à Chamoux 46 planteurs de tabac : seuls quelques "gros" agriculteurs ne pratiquaient pas cette culture.
Le tabac, c'était la grosse paie de l'année, qui a permis à nos agriculteurs de survivre.

Noël Guidet
A.Dh.