1655 Chaire St-Léger

Version imprimableVersion imprimable

D'où vient donc la chaire de l'église St-Martin de Chamoux ?

Les "On-dit" !

On dit que la chaire de l'église St-Martin de Chamoux :
- viendrait de l'antique église paroissiale St-Léger de Chambéry, démolie en 1760,
- et même, qu'elle serait due à François Cuenot
, génial franc-comtois, à la fois sculpteur et architecte, très investi dans les décors savoyards.
En l'absence actuelle de preuves textuelles, interrogeons-nous d'abord sur les chemins de la rumeur !

La chaire de l'église St-Martin de Chamoux - Photo AJF.DhCommençons par un évêque:

Lors de sa visite pastorale de 1892 à Chamoux (à lire ci-contre), l'évêque de Maurienne Michel Rosset observe :
"La Chaire a été transportée, elle a été très bien redorée ; elle est bien sculptée, et produit un très bel effet; elle a appartenu à l’église St Léger de Chambéry, comme cela paraît démontré, et l’on a tout lieu de croire que c’est du haut de cette chaire que St François de Sales a  annoncé la parole de Dieu dans la susdite église"


Mais qui avait donc fait une telle "démonstration" ?
Le XIXe siècle est l'époque bénie des érudits, assemblés en sociétés savantes auto-proclamées. Ils ont beaucoup cherché, beaucoup trouvé. Mais aussi beaucoup rêvé, pour certains. Surtout, une simple hypothèse prenait trop souvent corps parmi le microcosme. Répétée, l'intuition passait pour réalité ! D'où notre prudence!

Dans sa Notice historique sur l'église paroissiale de Saint-Léger, (SSHA 1863 tome VII p.95)  André Perrin cite "une note de M. Auger, curé de St-Alban-d'Hurtières" (qui connaît date et nature de cette note ?); lequel curé aurait par ailleurs apporté des informations sur le retable "acquis par St-Georges des Hurtières en 1760, et revendu à St-Alban parce que le chœur de l'église de St Georges était trop petit".
Informations fantaisistes: nous connaissons exactement la date de la vente aux enchères par la ville de Chambéry, de ce retable attribué (pour 883 livres) à Joseph Blanc député à Chambéry par St-Alban, en… mai 1771 (187 E dépôt 132)

Donc, que penser de ces informations du curé Auger, concernant la chaire de Chamoux :

« Contre le pilier du milieu de la nef, abstraction faite du chœur, à droite, s'appuyait la chaire, vendue lors de la démolition de Saint-Léger et transportée dans l'église de Chamoux.»

Cet historien peu rigoureux serait-il Jean-Michel Auger, cité comme curé de St-Alban dans l'Annuaire ecclésiastique des duchés de Savoie et d'Aoste de 1847 ? le curé Augert de St-Alban (probablement le même) cité dans le quotidien L'Univers de Louis Veuillot en 1870 ? En ce cas, il n'a pu être témoin direct de la vente. D'où tenait-il ses "informations" ?

Plus tard, lors de sa séance du 3 décembre 1928 la Société d'Histoire passe en revue quelques communications de ses membres (MDSSHA, tome LXVI, 1929 page XXIV) ; mais de nouveau, pas de source pour justifier l'assertion, et nous assurer de tenir la vérité:

[M. Sundt, qui s'occupe de l'aménagement du Musée] rappelle que l'ancien autel de l'église Saint-Léger de Chambéry se trouve maintenant à Saint-Alban-d'Hurtières, tandis que la chaire est dans l'église de Chamoux. »

L'autel ? Mais non voyons, le retable ! (sans son tabernacle). Tout cela manque un peu de rigueur…

Et Cuenot ? Rien sur Cuenot… pour le moment. D'où vient donc l'attribution ?

Quelques certitudes

Du côté de l'église paroissiale St-Léger

Construction d'une chaire pour St-Léger en 1655… par Michel [Veycet]

Au XVIIe siècle, le Conseil de ville juge nécessaire de faire construire une nouvelle chaire pour l'église St-Léger (rappelons que l'incendie de Saint-Léger, en juillet 1650 obligea à célébrer, pendant quelques mois, les offices de la paroisse dans les églises conventuelles; en 1654, la vieille chaire est couverte de  tapisseries!). Les syndics consultent les hommes de l'art, et on passe un prix-fait.
Nous connaissons la délibération qui fut prise par le Conseil le 9 décembre 1654. (AD073 189Edepot 3116)
Le 26 avril 1655, les comptes de la ville enregistrent le paiement au menuisier Michel Veyret ou Veycet (artisan qui travaillait pour la ville) d'une somme de 10 ducatons restant dus. (AD073 189Edepot 372)

Voir la transcription - perfectible - de la délibération (9-12-1654) et du paiement final (26-4-1655)

Curieusement, le 15 mai 1655, le maçon Bernard Collomb, qui travaille lui aussi souvent avec la ville, est payé pour avoir "posé un degré de pierre au pied de la chaire de l'église St-Léger et pour avoir plombé deux [barres] de fer pour retenir ladite chaire " (AD073 189Edepot 372, pièce 55)

Vente de la chaire de St-Léger après 1760

Au XVIIIe siècle, l'église paroisssiale St-Léger, située sur l'actuelle "place  St-Léger" de Chambéry, menace ruine. L'ingénieur Garella consulté, observe en juillet 1749 (AD073 189Edepot 372) :

"J'y ai aussi visité les murs de l'église que j'ai trouvé de la même construction que ceux du clocher, nottamment à l'égard des fondations, et quant à leurs ellevations il y a déjà la couverte de la grande porte de cassé, le pillier de la chaire cotté P fendu et détaché du mur scavoir tous les chapiteaux et quelque étendue dans le pilier de la chaire au dessous et au dessus dans l'arc doubleau, avec plusieurs fentes dans les murs derrière la dite chaire…"

Plan de l'église St-Léger de Chambéry commenté par Garella - AD073 cote 189E 308  Plan de l'église St-Léger de Chambéry commenté par Garella : position de la chaire contre le pilier fendu P- AD073 cote 189E 308

Nous connaissons donc la position (classique) de la chaire de Michel Veycet dans l'église, puisque nous avons à la fois le plan du sanctuaire, et ce rapport d'expertise qui précise sa position, contre le pilier "P" en danger. (AD073 189Edepot 1230)
A supposer que la chaire de Chamoux vienne de St-Léger (aïe! nous voilà partis du côté des rêveurs!), nous pouvons donc nous la représenter, appuyée au pilier, avec les retours du dossier couvrant les côtés du pilier : nous comprenons mieux alors, le traitement  de ce meuble tout de symétrie, disymétrique à Chamoux, avec un "volet" dans le prolongement du dossier à droite, et l'autre rabattu à 90° contre le mur du transept à gauche: à Chamoux, nul pilier à envelopper, on doit épouser un angle de mur.
Oui mais alors… quelle position imaginer pour l'escalier, qui prend sur le côté?

Simulation… autour d'un pilier - Photo AJF.DH A Chamoux, la chaire enveloppe l'angle du mur - Photo AJF.Dh

 

<• A Chamoux, la chaire recouvre un angle nef-transept

Simulation : manifestement, cette chaire •> 
 avait été conçue pour envelopper un pilier
(avec 2 pans "rabattus" sur les scôtés du pilier)
Et Il n'y a pas de pilier à St-Martin…

 


A St-Léger, le clocher, dangereux, est démoli en 1750. Puis après consultation des experts, la décision est prise en 1760 de faire tomber l'église elle-même, non sans états d'âme : les finances de la ville sont en berne, au point qu'il faudra lever un impôt exceptionnel pour payer les frais de démolition. Le projet de reconstruire une église paroissiale sera d'ailleurs abandonné.

Mais que faire du mobilier remisé en attendant dans des locaux humides de la Sainte-Chapelle? Au bout de 10 ans, il devient urgent de vendre ! (les pierres et les métaux, moins fragiles mais plus encombrants, et plus faciles à négocier, ont été vendus dès les premières années)
En 1771, St-Alban des Hurtières peut ainsi acquérir le retable du maître-autel. (187 E dépôt 132)

Mais qu'est devenue la chaire ?
Les délibérations du Conseil de ville, qui gardent la mémoire de la vente du grand retable en 1771, ne disent rien de la chaire, du moins entre 1760 et 1773. De même pour les comptes du trésorier.

Et Cuenot ?
En l'absence actuelle de traces textuelles, on peut tenter de comparer les styles : qu'ont donc en commun la chaire de Chamoux, et diverses œuvres attestées de Cuenot : le retable de Champagny-en-Vanoise, la Fontaine des Deux Bourneaux… Ceci, peut-être ?

Un motif "enroulé" très présent sur la chaire de l'église St-Martin de Chamoux -  Photo AJF.DhRetable de Champagny-en-Vanoise, de F. Cuenot - Photo AJF.Dh La Fontaine des 2 bourneaux à Chambéry - Photo AJF.Dh

De gauche à droite :
- les lourdes volutes aplaties abondent sur la chaire de Chamoux ; à comparer peut-être à ceci :
- le retable créé par François Cuenot pour Champagny-en-Vanoise en 1662

- la Fontaine des 2 bourneaux, projet de Cuenot réalisé par des maçons en 1669
Les volutes aplaties reviennent régulièrement dans ces décors, sont même parfois l'unique motif du décor…

Du côté de l'église paroissiale St-Martin de Chamoux

La chaire de l'église St-Martin de Chamoux - Photo AJF.DhUne seule visite pastorale nous est connue au XVIIIe siècle à Chamoux, en 1717: dans le texte conservé, on ne dit rien de la chaire précédente probablement en place dans l'église. En revanche, dès la 1ère visite après la Révolution, en 1827 - voir ci-contre -, l'évêque remarque :

"La chaire qui est placée convenablement au milieu de l'Église est enrichie de sculptures dorées qui en font un des beaux ornements du lieu saint."

En effet, cette chaire bleu et or change des habituelles chaires de noyer foncé…

 

Discussion

Nous avons vu que la chaire de Saint-Léger a été construite en 1655 par Michel [Veycet], un menuisier qui travaillait souvent pour la  ville.
Mais le dessin de la chaire pouvait être d'une autre main : Cuenot lui-même a menuisé sur des projets du Jésuite Cl.-François Ménestrier ; notre franc-comtois pouvait être occupé vers 1655 à construire d'autres grands meubles: il aurait pu simplement réaliser le dessin, intégrant certains éléments décoratifs qui se répètent dans son œuvre. Ou intervenir plus tard sur un meuble très simple ? (les ornements sont rapportés).

On sait d'autre part que la chaire de St-Léger par Michel [Veycet] portait les armes de la ville : rien ne les laisse soupçonner sur la chaire de Chamoux.

En revanche, il n'est pas question dans le marché passé entre la ville et son menuisier, de revêtement d'or (ni dans la délibération initiale, ni dans l'expertise finale).
Cependant, les éléments du décor ont peut-être été dorés par la suite (on sait par exemple par la visite pastorale à Chamoux de 1892 - voir ci-contre - que la chaire de Chamoux fut redorée à la fin du XIXe siècle)

Ou bien... On sait que Cuenot participa aux décorations pour le mariage du prince, en sculptant des décors appliqués; passées les festivités, les décorations étaient promises à la destruction: aurait-on récupéré des motifs de Cuenot, pour les appliquer sur la chaire de [Veycet] à Saint-Léger ?

Le "fantôme" des croisillons probablement rajoutés, puis disparus - Photo AJF.Dh<• A Chamoux, le "dossier" de la chaire laisse deviner par leur "fantôme", la présence autrefois de croisillons de style Régence ; donc, de style plus tardif que la chaire : la mode avait peut-être invité à mettre cette chaire "au goût du jour" au XVIIIe siècle.
Puis, la mode passant, ou les croisillons s'étant abimés, ils furent déposés...
Le meuble de Chamoux n'est peut-être plus tout à fait semblable à celui que voulut son créateur ?


Mais... tous ces "peut-être" ne prouvent rien : ils montrent simplement - à condition de résoudre la difficulté de l'escalier - que l'hypothèse d'un transfert de la chaire de St-Léger de Chambéry à Chamoux n'est pas impossible - en passant peut-être par un lieu intermédiaire (le Betton ?). De même, l'attribution à François Cuenot, qui manque de justifications par des documents, n'est pas à rejeter.
Nous cherchons donc…

La difficulté de l'escalier

La jonction de l'escalier avec la cuve pose problème - photo AJF.DhLa jonction de l'escalier avec la cuve pose problème - photo AJF.DhLa jonction de l'escalier avec la cuve montre en effet une adaptation hasardeuse (mais cette chaire a beaucoup voyagé, même dans l'église de Chamoux)La jonction de l'escalier avec la cuve pose problème - photo AJF.Dh

 

 

Découpe •>

 

La décoration même des panneaux verticaux de l'escalier
est d'allure bien différente de celle de la cuve et du dais.

La jonction de l'escalier avec la cuve pose problème - photo AJF.Dh

La jonction de l'escalier avec la cuve pose problème - photo AJF.Dh

<• La position en hauteur de la cuve est "normale". Mais cet escalier était trop court pour joindre le sol à son plancher, il a fallu ajouter un marche-pied de 3 degrés.
Cet escalier fut-il d'abord "tournant", et a-t-il perdu une volée ?

 

Il est à noter que le retour des panneaux de la cuve
du côté droit est également problématique ! •>

Que penser ?
 

 

fév. 2020-fév 2023 - Recherche et transcription A.Dh.