Sacristain interdit

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L'interdiction de Jacques Deglapigny, sacristain

Février 1736. Jacques Deglapigny "le Jeune" a 74 ans. Après la mise sous séquestre du prieuré en 1735, il est examiné par son évêque: est-il encore apte à remplir ses fonctions religieuses ? Le constat est accablant. Reproche essentiel : ayant perdu la capacité de lire et la mémoire des textes, il aurait dû renoncer de lui-même à dire la messe. Le remède proposé semble bien irréaliste ?

En couverture :
Ordonnance de S. S. portant interdit de célébrer la messe contre Rd Jacques
à dire la messe Sacristain de Chamoux, du 3 février 1736

François-Hyacinthe de Valpergue
Comte de Masin, Évêque de Maurienne et Prince etc

À savoir faisons, que sur les informations qui nous sont parvenues de la part du Rd Curé de Chamoux et de plusieurs habitants dudit lieu sur l’inaptitude et incapacité du Rd Jacques Deglapigny, prêtre et Sacristain dudit Chamoux à dire la messe, nous lui aurions ordonné de se représenter par-devant nous pour être exercé et examiné sur les rubriques et Cérémonies de la Ste messe,
lequel ayant comparu par-devant nous le premier du courant à deux heures de l’après-midi, n’ayant pu vaquer audit examen, nous avons icelui renvoyé par-devant Rd Jean-François Grassy notre vicaire général et Official, et Rd Claude-Ferdinand Marin des Chanoines de notre Cathédrale, lesquels nous avons spécialement commis et députés pour examiner et exercer ledit Rd Deglapigny sur les Cérémonies de la messe, avec charge de nous rendre comte de la capacité ; lesquels nous ont rapporté qu’ayant procédé aux examens, ils ont observé que ledit Rd Deglapigny était absolument hors d’état de célébrer la messe, attendu qu’il ne savait presque plus lire le missel, quoiqu’on lui fît approcher de ses yeux, et qu’il se servît de lunettes, qu’il omettait une partie des oraisons secrètes et même les plus essentielles, et qu’il paraissait avoir entièrement oublié les Cérémonies portées par les Rubriques.

De quoi ayant voulu être informé par nous-même, nous avons fait venir ledit Rd Deglapigny dans notre chambre ce jour d’hui à [huit] heures du matin, où nous avons fait dresser un autel pour l’exercer de nouveau, pour lequel nous avons fait poser quatre flambeaux pour voir si au secours d’une plus grande lumière, il était en état de lire ; l’ayant fait venir, Rd Joseph [Maure] et Pierre Mollaret des anciens chanoines de notre Cathédrale pour être témoins de la manière dont ledit Rd Deglapigny s’acquitterait de la fonction de la messe, nous avons observé qu’il avait tout à fait oublié les prières que doit dire le prêtre en se revêtissant les habits sacerdotaux, qu’il savait deux versets du psaume indica me Deus, qu’il ne savait plus dire les oraisons aufer a nobis, oramus et domine, Munda cor meum,  le symbole de [Nicé(e)], suscipe Sancte Pater, deus qui humanae substantiae et les autres oraisons secrètes jusqu’à l’orate pater ; et quoique nous lui ayons présenté le missel pour les lire, nous avons remarqué qu’il n’en pouvait pas venir à bout, moins encore  de l’Épitre et de l’Évangile. Nous avons en outre observé qu’immédiatement après avoir dit l’orate pater, il a passé à la Cérémonie de la Conservation où il a omis de prononcer les paroles qu’il faut dire entre la Conservation des deux espèces, et étant arrivé à la Conservation du Calice, il en a prononcé si mal les paroles qu’il ne nous a pas été possible, ni à nos assistants, de comprendre et discerner ce qu’il disait ; après quoi, il est revenu à la préface qu’il s’est rappelé avoir oubliée, et quelque temps après, ne sachant plus où il en était, nous l’avons fait cesser, voyant bien qu’il n’était plus en état de s’acquitter de cette auguste fonction.

Ensuite de quoi, nous lui avons fait une correction paternelle, celle que nous devions en pareil cas, sur la témérité à s’ingérer dans une fonction dont il se reconnaissait lui-même incapable ; et l’ayant de nouveau mandé à ce jourd’hui huit heures du matin, nous lui avons en présence de notre susdit Rd Vicaire général et official, et Rds chanoines Faure et Mollaret, fait expresses inhibitions et défenses de célébrer à l’avenir la Ste messe par forme d’interdit jusqu’à ce que étant trouvé capable dans un nouvel examen qu’il devra subir par-devant nous, nous lui en accordions la permission par écrit.
De quoi nous avons dressé le présent verbal pour en conserver la mémoire, lequel nous avons ordonné à [Chanoine Gred] d’enregistrer pour y avoir recours au besoin ; et en avons fait donner une copie audit Rd Deglapigny.

Fait à St Jean de Maurienne, dans notre palais épiscopal, le douzième février mille sept cent trente-six.

Depuis avons ordonné audit Rd Deglapigny en réparation de la faute qu’il a faite d’avoir dit si mal la messe jusqu’ici, et pour se mettre en l’état de la dire comme il faut à l’avenir, d’aller passer une quinzaine de jours au séminaire d’Annecy

Franc. Hyac. Év. De …* écriture très difficile
Grassy Vic. Gral
P. Mollaret Chne

Copie le troisième de février 1736,
J. Deglapigny sacristain

Recherche et transcription : A.Dh.


Source :
ADS – G Maurienne 65 –  pièce 7 – Cure : incapacité de Jacques Deglapigny